Q. Ogulnius Gallus

RE, XVII 2, 2064-2066, n° 5 (auteur : Fr. Münzer), BNP, 10, 66-67, n° 1 (auteur : Chr. Müller) et G. Niccolini, FTP, p. 77.

Sources

Arnob., nat., 7, 44 ; Aug., ciu., 3, 17, 124 et ciu., 3, 17, 125 ; Chronogr. a. 354 (AUC 485) ; Chr. Pasc. (AUC 485) ; Claud., Cons. Stil., 3, 171-173 ; D.C., 10, 41 Boissevain ; D.H., 5, 13, 4 et 20, 14 (= XX, O de l’édition Pittia) ; Eutr., 2, 16 ; Fast. Hyd. (AUC 485) ; Hier., Chr., p. 130 Helm ; Iust., 18, 2, 9 ; Lact., inst., 2, 7, 13 et inst., 2, 16, 11-12 ; Liv., 10, 6 ; 10, 7, 1-4 ; 10, 9, 1-2 ; 10, 23, 11-13 ; 10, 47, 6-7 ; 29, 11, 1 ; perioch., 11, 3 et perioch., 14, 6 ; Lyd., Mag., 1, 45, 4 ; Oros., hist., 3, 22, 5 ; Ov., met., 15, 622-744 et fast., 1, 290-294 ; Paris, 1, 8, 2 et Paris, 4, 3, 9 ; Plin., nat., 29, 16 et nat., 33, 44 ; Plut., QR, 94 ; Nepotian., 1, 8, 2 ; Sidon., epist., 1, 7, 12 ; Str., 12, 5, 3 ; Suet., Claud., 25, 2 ; Val. Max., 1, 8, 2 et 4, 3, 9 ; Vir. ill., 22, 1-3 ; Zonar., 8, 6 et 8, 7.

Notice

Q. Ogulnius est un personnage bien attesté et d’une grande importance historique. Il fit partie des ces plébéiens qui, au tournant des IVe et IIIesiècles accédèrent aux honneurs et jouèrent un rôle majeur dans l’évolution de la vie politique romaine. Il commença sa carrière en étant tribun de la plèbe avec son frère C. Ogulnius en 300 et en proposant un plébiscite particulièrement remarqué et connu sous le nom de lex Ogulnia de auguribus et pontificibus (150). Il visait en fait à augmenter le nombre de pontifes et d’augures et à réserver la moitié des postes dans ces collèges à des plébéiens[1].

Quelques années après, en 296, il fut édile, toujours en même temps que son frère. Leur édilité fut en particulier marquée par une activité de construction financée par le produit des amendes sur les activités des usuriers. Une des réalisations les plus intéressantes — à la fois symboliquement et politiquement — fut alors de placer sous une ancienne statue de la louve romaine, des représentations des jumeaux Romulus et Remus[2].

Si la carrière de son frère s’arrêta alors, Q. Ogulnius est, lui, loin de disparaître de nos sources. Il fut en effet légat ambassadeur en 292. Il est alors lié à une ambassade célèbre et dont la postérité dans les sources antiques fut très prolixe : l’ambassade au sanctuaire d’Esculape[3]. Les Romains subissaient depuis plusieurs années une épidémie récurrente et ne savaient plus que faire pour l’enrayer. En désespoir de cause, ils consultèrent les livres Sibyllins qui indiquèrent qu’il fallait tenter de faire venir le dieu Esculape d’épidaure à Rome. Une commission de dix membres fut donc envoyée à Épidaure avec, selon certaines sources, Q. Ogulnius à sa tête. On peut émettre l’hypothèse qu’il s’agissait en fait de décemvirs et qu’Ogulnius aurait fait partie de ce collège[4]. Ici, l’histoire de l’ambassade est devenue une des légendes les plus contées de l’antiquité. En effet, non seulement les habitants d’épidaure accueillirent favorablement les Romains, mais le dieu lui-même manifesta son désir d’aller s’installer à Rome en se manifestant sous la forme d’un serpent sacré qui s’installa dans la tente d’Ogulnius, puis sur le navire romain et qui, arrivé à Rome, descendit lui-même s’installer sur l’île tibérine où les Romains lui construisirent un temple. Au-delà de l’aspect extraordinaire de l’histoire, deux constats sont à faire. Tout d’abord, la probable authenticité d’une telle dédicace de temple à cette époque. Un fait en particulier joue en sa faveur : le constat de Latte que la prononciation romaine d’Asclépios dérive d’une prononciation grecque qui n’avait plus cours au IIIe siècle tend en effet à montrer que les Romains eurent très tôt connaissance de ce dieu. De même, les bonnes relations des Romains avec le Poliorcète rendaient possible une telle ambassade[5]. Dans le même temps, il s’agissait là d’un dieu dont le caractère grec était incontestable et une telle importation n’était pas anodine[6]. Pour autant, elle peut tout à fait se comprendre dans le cadre des transformations survenues à Rome à la fin du IVe siècle dont beaucoup dénotent clairement un contexte de renforcement de l’influence hellénique. Si, comme on l’a vu, les Ogulnii, par leur plébiscite et leur édilité, participèrent bien de ces bouleversements, il n’est pas surprenant que l’un d’eux fût impliqué dans l’importation du culte d’Esculape à Rome.

Cette première ambassade fut suivie d’une seconde en 273. Q. Ogulnius fut cette fois envoyé à la cour du roi lagide Ptolémée Philadelphe en compagnie de deux autres légats, Q. Fabius Maximus Gurges et N. Fabius Pictor[7]. Une telle ambassade, qui répondait à une visite égyptienne immédiatement précédente, n’est pas impossible dans le contexte de l’époque, bien au contraire. Sans être déjà devenue la puissance méditerranéenne qu’elle fut à la fin de la République, Rome venait de vaincre Pyrrhus et commençait à s’affirmer en Méditerranée. De son côté, l’égypte était une puissance importante qui pouvait être en quête d’un soutien contre Carthage. La question se pose alors de savoir s’il s’est agi d’une simple visite ou si elle donna lieu à un véritable accord politique et/ou commercial. Du point de vue politique, il est à peu près admis que ces relations restèrent informelles et vides de tout contenu réel jusqu’à la fin du IIIe siècle sans pour autant être inexistantes : une forme d’amicitia donc[8]. Concernant les relations commerciales, la question est plus complexe. L’hypothèse d’un accord formel avait été proposée par J. Svoronos qui, en s’intéressant aux monnaies, constata des monnayages parallèles[9]. Il s’agit cependant d’une théorie controversée — car liée à la date que l’on donne aux premiers monnayages romains — mais pas impossible[10]. Par ailleurs, cette ambassade fut aussi l’occasion pour les légats de montrer leurs qualités puisqu’à leur retour à Rome, ils déposèrent à l’aerarium saturni tous les dons du roi. Le Sénat et le peuple, enchantés de ce désintéressement, décidèrent de les leur reverser. Enfin, constatons que cette ambassade se fit uniquement en compagnie de Fabii et fournit une preuve supplémentaire des liens unissant Fabii et Ogulnii.

Encore plus tard, en 269, Q. Ogulnius devint consul. Son nom n’est attesté dans les fastes que par son cognomen de Gallus[11]. Il est cependant bien présent dans les sources littéraires et on retrouve son surnom chez le chronographe de 354, dans la chronique pascale et dans les fastes d’Hydatius. Seul le Chronicon de Cassiodore ne le mentionne pas et donne comme consuls P. Sempronius et Ap. Claudius. Ce consulat fut marqué par une guerre dans le Brutium contre un brigand samnite du nom de Lollius et le début d’une révolte dans le Picenum. Par ailleurs, Pline, ainsi que le témoignage de la chronique de Saint Jérôme, placent en cette même année le début du monnayage romain[12]. Or, comme un des premiers didrachmes d’argent frappés à Rome porte précisément comme décor la louve et les jumeaux, il est possible de le rapprocher de l’action des Ogulnii lors de leur édilité et de constater que ce personnage fut certainement en partie à l’origine de ce type de monnayage[13]. La carrière de Q. Ogulnius s’acheva quelques années plus tard, en 257 lorsqu’il fut nommé dictateur. Cette dictature est attestée par les fastes où on le retrouve avec son nom complet[14]. Il fut nommé pour célébrer les féries latines, ce qui implique un prestige que son prestige encore important à l’époque et il s’agit, selon Bandel, du seul exemple connu de dictature de ce type[15].

Q. Ogulnius appartient ainsi à une famille qui joua un rôle majeur à la fois dans l’hellénisation de Rome et dans la fixation de certaines de ses traditions. Politicien habile, il est le parfait exemple de l’évolution de la frange supérieur de la plèbe. Plus encore, c’est sans doute un des rares tribuns dont nous posséderions peut-être une représentation[16].

Notes

[1] Pour une analyse détaillée de ce plébiscite, voir le volume publié.

[2] Sur l’édilité des Ogulnii, voir là aussi pour plus de détails la notice de Cn. Ogulnius et le volume publié.

[3] Outre T. R. S. Broughton, MMR, I, p. 182 qui est incomplet sur ce point, on se reportera pour une présentation complète des sources à E. J. et L. Edelstein, Asclepius. A collection and Interpretation of the Testimonies, Baltimore : The Johns Hopkins Press, 1945, 1, p. 431-452 ; à Rüpke-Glock, Fasti sacerdotum. Die Mitglieder der Priesterschaften und das sakrale Funktionspersonal römischer, griechischer, orientalischer und jüdisch-christlicher Kulte in der Stadt Rom von 300 v. Chr. bis 499 n. Chr., Stuttgart : Franz Steiner Verlag, 2005, 2, p. 1180-1181 ; et J. Rüpke, Römische Priester in der Antike. Ein biographisches Lexikon, Stuttgart : Franz Steiner Verlag, 2007, p. 177-178. Pour une analyse — ancienne — de ces sources, voir M. Besnier, L’Île tibérine dans l’antiquité, Paris : A. Fontemoing, 1902, p. 152-163.

[4] Voir J. Gagé, Apollon romain. Essai sur le culte d’Apollon et le développement du « ritus Graecus » à Rome des origines à Auguste, Rome : EFR, 1955, p. 153. Contra, G. J. Szemler, The Priests of the Roman Republic. A Study of Interactions Between Priesthoods and Magistracies, Bruxelles : Latomus, 1972, p. 67 dont les arguments sont peu convaincants.

[5] Voir K. Latte, compte-rendu de la parution du volume IV2 1 des IG, Gnomon, VII, 1931, p. 121, n. 2 ; M. Guarducci, « L’Isola Tiberina e la sua tradizione ospitaleria », RAL, série 8, 26, 1971, p. 267-282 ; et E. J. et L. Edelstein, Asclepius. A collection and Interpretation of the Testimonies, Baltimore : The Johns Hopkins Press, 1945, 2, p. 252.

[6] J. Gagé, Apollon romain. Essai sur le culte d’Apollon et le développement du « ritus Graecus » à Rome des origines à Auguste, Rome : EFR, 1955, p. 152-154 et M. Guarducci, « L’Isola Tiberina e la sua tradizione ospitaleria », RAL, série 8, 26, 1971, p. 269-270.

[7] Toutefois, Q. Ogulnius n’est pas mentionné dans cette ambassade par toutes les sources. Ainsi, Eutr., 2, 15 ne donne pas les noms des ambassadeurs.

[8] Voir E. Ciaceri, Processi politici e relazioni internazionali. Studi sulla storia politica e sulla tradizione letteraria della Repubblica e dell’impero, Rome : A. Nardecchia, 1918, p. 3-39 ; M. Holleaux, Rome, la Grèce et les monarchies hellénistiques au IIIe siècle avant J.-C., Paris : De Boccard, 1935, p. 60-83 ; E. Manni, « L’Egitto tolemaico nei suoi rapporti politici con Roma. I. — L’Amicitia », Rivista di Filologia e di Istruzione classica, 27 (77), 1949, p. 79-87 ; L. H. Neatby, « Romano-Egyptian Relations During the Third Century B.C. », TAPhA, 81, 1950, p 89-94 ; Tr. von Heinz Heinen, « Die politischen Beziehungen zwischen Rom und dem Ptolemäerreich von ihren Anfängen bis zum Tag von Eleusis (273-168 v.Chr) », ANRW, I, 1, p. 633-638 ; W. Peremans et Ed. van’t Dack, « Sur les rapports de Rome avec les Lagides », ANRW, I, 1, p. 663-667 et É. Will, Histoire politique du monde hellénistique (323-30 avant J.-C.), Paris : Éd. du Seuil, 2003 (1966), p. 195-198.

[9] J. N. Svoronos, Die Münzen der Ptolemäer (=Τα νομίσματα του κράτους των Πτολεμαίων), IV (deutsche Übersetzung des I. Bandes), Athènes : Sakellarios, 1908, p. 142.

[10] Voir H. Mattingly, « The First Age of Roman Coinage », JRS, 35, 1945, p. 65-69 ; R. Thomsen, Early Roman Coinage. A Study of the Chronology, 3 vol., Copenhague : Nationalmuseet, 1957 et 1961 ; R. E. Mitchell, « The Fourth Century origin of Roman Didrachms », ANS-MN, 15, 1969, p. 41-43 ; C. Dulière, Lupa romana. Recherches d’iconographie et essai d’interprétation, 1, Texte, Bruxelles et Rome : Institut historique belge de Rome, 1979, p. 47-50 ; E. Lo. Cascio, « Il primo denarius », AIIN, 27-28, 1980-1981, p. 335-358 ; A. M. Burnett, « The Beginnings of Roman Coinage », AIIN, 36, 1989, p. 33-64 ; et É. Will, Histoire politique du monde hellénistique (323-30 avant J.-C.), Paris : Éd. du Seuil, 2003 (1966), p. 196-197.

[11] CIL, I2, 1, p. 136-137 et InscrIt, XIII, 1, p. 40-41, p. 114 et p. 432-433.

[12] Sur le très épineux dossier de l’apparition de la monnaie à Rome, voir H. Zehnacker, Moneta. Recherches sur l’organisation et l’art des émissions monétaires de la République romaine (289-31 avant J.-C.), Rome : EFR, 1973, 1, p. 197-268 et p. 323-350 ; et M. Crawford, RRC, p. 3-46. V. Picozzi, « Q. Ogulnio C. Fabio cos. », NAC, 8, 1979, p. 159-171 penche pour une introduction du denier à cette date et donc pour un rôle majeur joué par Q. Ogulnius dans ce changement. Le denier du type Rome/Dioscures ne daterait ainsi que de la deuxième guerre punique.

[13] C. Dulière, Lupa romana. Recherches d’iconographie et essai d’interprétation, 1, Texte, Bruxelles et Rome : Institut historique belge de Rome, 1979, p. 43-50 et M. Crawford, RRC, I, p. 137, n° 20.

[14] CIL, I2, 1, p. 24 et InscrIt, XIII, 1, p. 42-43, p. 116 et p. 434-435.

[15] Fr. Bandel, Die Römischen Diktaturen, Naples : Jovene, 1987 (réimpression anastatique de l’édition 1910), p. 119.

[16] G. Haffner, « Römische und Italische Porträts des 4. Jahrhunderts v. Chr. », MDAI(R), 77, 1970, p. 66-71. Contra, M. Papini, Antichi volti della Repubblica. La ritrattistica in Italia centrale tra IV e II secolo a. C., 1, Rome : « L’Erma di Bretschneider », 2004, p. 179-182 estime qu’il s’agit d’un buste tardif, d’époque impériale, représentant sans doute un médecin.