C. Marcius Rutilus Censorinus

RE, XIV 2, 1589-1590, n° 98 (auteur : Fr. Münzer) ; BNP, 8, 314, n° I 26 (auteur : Chr. Müller) et G. Niccolini, FTP, p. 72-73.

Sources

CIL, VI, 37160 (= ILS, 9338, 1) ; Cassiod., Chron., (AUC 444) ; Chronogr. a. 354 (AUC 444) ; Chr. Pasc. (AUC 444) ; D.S., 20, 27, 1 et 20, 35, 1-2 ; Fast. Hyd. (AUC 444) ; Plut., Cor., 1 ; Hier., Chr., p. 128 Helm ; Liv., 9, 30, 3-4 ; 9, 33, 1-2 ; 9, 38, 1 ; 9, 38, 7-8 ; 9, 39, 1-2 ; 10, 9, 1-2 ; 10, 29, 5-7 ; 10, 37, 8-11 ; 10, 47, 1-2 et perioch., 16 ; Paris, 4, 1, 3 et Val. Max., 4, 1, 3.

Notice

C. Marcius fut tribun de la plèbe en 311 puis consul en 310. F. Càssola refuse l’identification du tribun de la plèbe et du consul de 310 au motif que le premier aurait été l’ami d’Ap. Claudius Caecus et pas le second[1]. Les raisons avancées pour dissocier les deux ne nous paraissent guère convaincantes. Marcius était le fils de C. Marcius Rutilus, consul en 357, 352, 344 et 342. Il nous est d’abord connu pour son tribunat de la plèbe dans lequel il fut associé à L. Atilius et M. Decius. Avec le premier, il fut à l’origine d’un très important plébiscite : le plebiscitum Atilium Marcium de tribunis militum a populo creandis (142). Ce plébiscite visait à faire passer l’élection des tribuns militaires des comices centuriates aux comices tributes et à augmenter leur nombre en en faisant élire six par légions, soit vingt-quatre au total. Il s’agit d’un plébiscite capital qui accompagna la transformation de l’armée romaine en une armée manipulaire[2]. Par ailleurs, une hypothèse de F. Coarelli propose d’attribuer la fameuse et très discutée lex Marcia de fenore à C. Marcius dont, alors, la statue de Marsyas installée sur le comitium pourrait être une traduction figurative tandis que Marcius serait également à l’origine de l’installation des statues de Pythagore et d’Alcibiade, sur le comitium, au moment des guerres samnites[3]. Si l’activité publique de ce personnage démarra de façon très impressionnante, il eut encore une longue carrière derrière lui. L’année suivante, il fut consul et c’est ainsi que nous savons son nom complet : C. Marcius Rutilus Censorinus[4]. Durant son consulat, il participa à la guerre contre les Samnites et gagna une bataille avec l’autre consul à Sutrium. Les deux armées se séparèrent ensuite et C. Marcius prit la ville d’Allifae ainsi que d’autres positions samnites. En dépit de ces victoires, le rapport de force général n’empêcha pas une victoire samnite contre Marcius et cela conduisit à l’élection d’un dictateur : L. Papirius Cursor. C. Marcius s’efface alors quelque temps de nos sources[5].

En 300, Marcius réapparaît car il fit partie des premiers pontifes plébéiens élus grâce au plébiscite ogulnien (150). Il aurait été cette année-là pontife et augure[6]. L’exercice conjoint de ces deux prêtrises est étonnant même s’il existe quelques attestations du phénomène[7]. Le rôle joué par Marcius dans ce collège fut décisif à la fois pour la réécriture de l’histoire de la gens Marcia jusqu’au roi Ancus Marcius, mais également pour les rapports entretenus par ce personnage avec Ap. Claudius Caecus. En effet, l’accès au collège pontifical donnait aux Marcii toute latitude pour intervenir dans la rédaction des annales des pontifes et il semble bien qu’ils ne s’en soient pas privés[8]. Par ailleurs, il a été parfois proposé de tirer de l’hostilité d’Ap. Claudius Caecus au plébiscite ogulnien une opposition politique entre ce dernier et certains membres de la nouvelles nobilitas dont C. Marcius Rutilus. Il s’agit d’un point beaucoup moins évident qu’il n’y paraît et les analyses récentes de M. Humm tendent plutôt à montrer l’existence de liens politiques entre Appius, Marcius et d’autres membres de la nobilitas[9].

Il fut ensuite peut-être légat servant sous les ordres de Q. Fabius à la bataille de Sentinum en 295. Toutefois, cet élément de sa carrière est mal assuré et pourrait n’être qu’une invention de l’annalistique due au prestige du personnage. En 294, il fut élu censeur avec P. Cornelius Arvina. La censure d’Arvina est attestée par l’épigraphie sur un fragment malheureusement fort abîmé qui n’a pas conservé le nom de son collègue[10]. Comme Tite-Live associe Marcius à Arvina, on peut penser que sa censure était gravée mais sans en avoir la preuve absolue. Son élection, outre son prestige propre, peut s’éclairer par le fait qu’un des consuls de l’année, M. Atilius Regulus était un proche parent du collègue de Marcius au tribunat : L. Atilius. Cette première censure ne comporta pas d’événements exceptionnels et il semblerait que ce soit le collègue de Marcius qui clôtura le lustrum[11]. Après avoir ainsi atteint le sommet de la carrière politique, C. Marcius disparaît à nouveau pour un temps assez long de nos sources. Il réapparut en 265 à l’occasion d’une seconde censure. L’itération de cette magistrature est un hapax dans l’histoire romaine. D’ailleurs, les deux sources qui nous apportent quelques détails à ce sujet — Plutarque et Valère Maxime — exposent que suite à cela, C. Marcius lui-même fit passer une loi interdisant d’exercer plus d’une fois cette magistrature[12]. Cette censure est certaine car attestée par l’épigraphie avec le nom complet de Marcius[13]. C’est suite à cet exemple sans précédant que son cognomen de Censorinus, porté par ses descendants, lui aurait été attribué[14].

Un dernier élément doit être mentionné : la possible participation de C. Marcius à la restructuration du comitium qui fit passer ce monument d’une forme carrée à une forme ronde, précisément à la fin du IVe siècle. Si les travaux récents de M. Humm tendent à attribuer ces transformations à l’action d’Ap. Claudius Caecus, il n’est pas impensable que Marcius y ait été, à un titre ou un autre, mêlé[15]. L’historicité de ce personnage est donc certaine même si sa carrière fut d’une longévité exceptionnelle, puisqu’un intervalle de quasi trente ans s’écoula entre ses deux censures. Ce n’est cependant pas impossible si on rappelle que sa famille était prestigieuse et que son père avait déjà eu un cursus brillant : consul quatre fois, il fut le premier dictateur plébéien en 356 et le premier censeur plébéien en 351.

Notes

[1] Cf. F. Càssola, I gruppi politici romani nel III secolo A. C., Trieste : Arti grafiche Smolars, 1962, p. 149-150 et M. Humm, Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome : EFR, 2005, p. 108, n. 26.

[2] Voir la notice de L. Atilius pour les détails et la bibliographie sur cette loi.

[3] Cf. le volume publié p. 354-358.

[4] CIL, I2, 1, p. 21 et p. 130-131. St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 3, Book IX, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 393-394 et p. 421-422 relève qu’il peut paraître surprenant d’avoir été consul si vite après son tribunat, mais, comme il le reconnaît lui-même, à cette date, cela n’a rien d’impossible.

[5] Pour une analyse du récit livien sur ces événements, voir St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 3, Book IX, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 451-462.

[6] Cf. le volume publié p. 349-352.

[7] St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 4, Book X, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 119-120 avec la bibliographie.

[8] Voir en particulier G. Poma, « Considerazioni sul processo di formazione della tradizione annalistica: il caso della sedizione militare del 342 a. C. », dans W. Eder (éd.), éd., Staat und Staatlichkeit in der frühen römischen Republik: Akten eines Symposiums 12. — 15. Juli 1988 Freie Universität Berlin, Stuttgart : Fr. Steiner, 1990, p. 139-157 ; A. Storchi Marino, « C. Marcio Censorino, la lotta politica interno al pontificato e la formazione della tradizione liviana su Numa », AION (archeol.), 14, 1992, p. 105-147 ; et M. Humm, Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome : EFR, 2005, p. 87, n. 188, p. 352, n. 20 et p. 552 avec la bibliographie complémentaire.

[9] St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 3, Book IX, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 671-675 et M. Humm, Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome : EFR, 2005, p. 81-87 et p. 115-122.

[10] InscrIt, XIII, 1, p. 38-39, p. 112 et p. 426-427.

[11] J. Suolahti, The Roman Censors. A Study on Social Structure, Helsinki : Weilin & Göös, 1963, p. 238-241.

[12] Sur cette loi, cf. G. Rotondi, LPPR, p. 244 et D. Elster, Die Gesetze der mittleren römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2003, p. 144-146 n° 65.

[13] InscrIt, XIII 1, p. 40-41, p. 115 et p. 432-433.

[14] I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki : Societas scientiarum fennica, 1965, p. 82 et p. 317 et J. Suolahti, The Roman Censors. A Study on Social Structure, Helsinki : Weilin & Göös, 1963, p. 268.

[15] Cf. le volume publié, p. 352-360.