P. Sempronius Sophus

RE, II A 2, 1437-1438, n° 85 (auteur : Fr. Münzer) et G. Niccolini, FTP, p. 73-74.

Sources

Cassiod., Chron. (AUC 450) ; Chronogr. a. 354 (AUC 450) ; Chr. Pasc. (AUC 450) ; D.S., 20, 91, 1 et 20, 101, 5 ; Fast. Hyd. (AUC 450) ; Frontin., aq., 1, 5 ; Liv., 9, 33, 3-9 ; 9, 34 ; 9, 45 ; 10, 9, 1-2 ; 10, 9, 14 ; 10, 21, 4-10 et Plin., nat., 33, 17-19.

Notice

P. Sempronius Sophus aurait été tribun de la plèbe en 310. L’identification de ce P. Sempronius tribun avec P. Sempronius Sophus est très probable mais pas certaine[1]. Ce personnage est issu de la branche plébéienne des Sempronii et fut le premier Sempronius plébéien à accéder aux magistratures en ayant une carrière importante[2]. C’est d’abord comme tribun de la plèbe qu’il se fit connaître. En effet, alors qu’Ap. Claudius Caecus était arrivé au bout de sa censure, il refusa de se démettre de ses fonctions afin d’achever certaines des actions qu’il avait entreprises (en particulier la uia Appia et l’aqueduc). P. Sempronius essaya de le forcer à démissionner et de le mettre en prison[3]. Tite-Live rapporte un long discours du tribun, véritable réquisitoire à la fois contre le censeur mais aussi contre la gens Claudia en général, comparant notamment le censeur de 312 à son ancêtre décemvir. Ce discours, plein de stéréotypes, est tout à fait intéressant. Par ailleurs, il illustre à merveille, comme le souligne Oakley, le changement intervenu dans le rôle des tribuns qui, de révolutionnaires turbulents, sont devenus des gardiens de la constitution romaine[4]. Cela se lit très bien à la controverse juridique qui s’engagea à propos de la légalité ou non de l’action d’Ap. Claudius et sur la portée de la lex Æmilia de censura minuenda de 434. En effet, Ap. Claudius Caecus niait que cette loi s’appliquât aux censeurs suivants et donc qu’il fût possible de s’appuyer sur son autorité pour le contraindre à la démission. Dans sa réplique, P. Sempronius revint non seulement sur le sens à donner à la loi Æmilia mais également sur une autre loi, simplement qualifiée d’antiqua, et qui aurait régi la nomination des censeurs. C’est d’ailleurs sur ce seul témoignage que l’on se fonde pour supposer l’existence d’une loi de création de la censure en 443. Or, il est très fragile car lié au contexte rhétorique de l’année 310 et il n’y en réalité certainement pas eu de loi instituant la censure au Vesiècle[5].

Il fut par la suite consul cinq ans après son tribunat, en 304. Mais les fastes de cette année sont mutilés et seul son cognomen est lisible[6]. Une paix fut signée avec les Samnites précisément après que P. Sempronius ait fait une incursion dans les territoires samnites pour constater la véracité de leurs intentions pacifiques. Avec son collègue P. Sulpicius Saverrio, il fit ensuite la guerre aux èques. Une certaine confusion apparaît toutefois ici car Tite-Live ne précise pas qui commanda cette guerre contre les èques tandis que Diodore de Sicile, seule autre source, indique qu’elle fut menée par Sempronius. Ces témoignages sont cependant en contradiction avec les fastes triomphaux pour lesquels seul Sempronius combattit les èques et obtint un triomphe ; alors que Sulpicius triompha des Samnites[7]. Il faut très certainement plutôt suivre le témoignage des fastes et supposer alors que la paix, probable, fut conclue après d’ultimes combats. La guerre contre les èques se poursuivit, elle, les années suivantes.

Plus tard, P. Sempronius fut également pontife et censeur. Il appartint au même collège pontifical que C. Marcius Rutilus Censorinus, le premier élu après l’adoption de la lex Ogulnia. Contrairement au cas de Marcius, cependant, aucun témoignage épigraphique ne vient, dans son cas, confirmer le témoignage de Tite-Live. Cette élection s’explique cependant aisément parce que ce personnage s’était déjà fait un nom à Rome : son opposition à Appius et, surtout, ses victoires militaires lors de son consulat en faisaient un candidat tout désigné. Il en va d’ailleurs de même pour ce qui concerne son élection à la censure cette même année[8]. Nous savons rien sur cette censure si ce n’est que les censeurs ajoutèrent à l’ager romanus les territoires de Teretina et Aniensis et qu’ils accomplirent le lustrum[9].

Après sa censure, P. Sempronius fut encore préteur, en 296. Sa préture fut marquée par la première levée de troupe recensée par nos sources qui concerna aussi bien des citoyens que des libertini. Il est malheureusement délicat de préciser le rôle éventuel joué par Sempronius dans ce choix. Il est en revanche attesté que le commandement des troupes lui fut confié et on peut donc imaginer qu’il joua effectivement un rôle dans cette levée exceptionnelle. Il fut également à l’origine de l’envoi de triumvirs chargé de fonder des colonies à Minturne et Sinuessa[10]. Ce personnage eut donc une carrière longue et mouvementée. C’est avec lui que les Sempronii plébéiens accédèrent à la nobilitas et son authenticité est hors de doute.

Notes

[1] T. R. S. Broughton, MRR, 1, p. 162 et F. D’Ippolito, Giuristi e sapienti in Roma arcaica, Rome et Bari : Laterza, 1986, p. 77-83.

[2] P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris : Les Belles Lettres, 1975, p. 117, n. 1, p. 172 et p. 218-220.

[3] Th. Mommsen, Le Droit public romain, traduit de l’allemand par P. F. Girard, Paris : E. Thorin, 1889-1896 (réimprimé par de Boccard à Paris en 1984-1985), 4, p. 25 n. 1 estime qu’une telle prolongation extraordinaire aurait en fait été possible.

[4] St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 3, Book IX, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 422-450 pour une analyse de cette figure et en particulier p. 425-427. Voir également M. Humm, Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome : EFR, 2005, p. 77 n. 155 et p. 107 n. 25.

[5] Sur ce problème, Cic., fam., 9, 21, 2 ; D.H., 11, 63, 2 ; D., 1, 2, 2, 17 ; Liv., 4, 8, 2-4 et 9, 34, 7 et Zonar, 7, 19, 3. Voir aussi G. Rotondi, LPPR, p. 209 ; D. Flach, Die Gesetze der frühen römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 234-237 n° 39 et Th. Lanfranchi, « Le leggi comiziali nella prima Deca di Livio », dans J.-L. Ferrary (dir.), La Legge nell’esperienza giuridica romana, Pavie : IUSS Press, 2012, p. 339-403.

[6] CIL, I2, 1, p. 21 et InscrIt, XIII, 1, p. 38-39, p. 110 et p. 422-423. Le nom est en revanche parfaitement conservé dans les fastes triomphaux de la même année.

[7] T. R. S. Broughton, MRR, 1, p. 167 ; St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 3, Book IX, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 587-589 et InscrIt, XIII, 1, p. 70-71 et p. 543.

[8] Attestée — sans doute — épigraphiquement par le mince fragment des fastes portant la mention « ONIU », voir InscrIt, XIII, 1, p. 38-39, p. 111 et p. 424-425.

[9] J. Suolahti, The Roman Censors. A Study on Social Structure, Helsinki : Weilin & Göös, 1963, p. 235-237 qui fait cependant de Sempronius un patricien ce qui n’était pas le cas ; et St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 3, Book IX, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 671.

[10] St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 4, Book X, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 232 et p. 469.