Ovinius

RE, XVIII 2, 1994, n° 1 (auteur : Fr. Münzer), BNP, 10, 307, n° I 1 (auteur : K.-L. Elvers) et G. Niccolini, FTP, p. 389-390.

Sources

Fest., p. 290 L. s.v. praeteriti senatores.

Notice

Ovinius est un tribun très mal connu mais à l’importance considérable en raison du plébiscite dont il est à l’origine : le plébiscite ovinien, souvent appelé, à tort, lex Ovinia (141). On ne sait rien d’autre de lui car aucun Ovinius n’est connu pour cette époque, mais il est nécessaire de revenir sur son plébiscite.

Ce plébiscite eut pour objectif principal l’attribution de la lectio senatus aux censeurs. À lire Festus, la signification de ce plébiscite fut considérable puisque son texte montre qu’il modifia fortement la perception que l’on peut avoir de l’histoire du Sénat et des conditions de la présence au sein de cette assemblée. Avant ce plébiscite, le recrutement des sénateurs aurait été le fait des principaux magistrats — consuls ou tribuns militaires à pouvoirs consulaires — tandis que les censeurs n’étaient en charge que des questions matérielles du recensement. C’est ce plébiscite qui, en transférant la lectio senatus aux censeurs, aurait rendu la charge de sénateur viagère (sauf décision d’exclusion par un censeur) et qui aurait donné au Sénat sa place autonome et centrale dans le système républicain. En dépit d’une difficulté de lecture du texte de Festus, il est probable que le plébiscite prescrivait de choisir les sénateurs curiatim. L’hypothèse a également été avancée que ce plébiscite aurait, pour la première fois, fixé le nombre de sénateur à 300[1]. L’adoption d’un tel plébiscite ne peut se comprendre que dans le contexte de la formation de la nouvelle élite patricio-plébéienne. Il s’agit d’abord des plébiscites licinio-sextiens de 367-366, bien sûr, qui permirent l’accès régulier de plébéiens au consulat. Puis, en 339, la dictature de Q. Publilius Philo fut d’importance car, après elle, on retrouve de plus en plus de magistratures curules exercées par des plébéiens et donc de plus en plus de plébéiens au Sénat. Ces deux éléments entraînèrent par contrecoup la nécessité de mieux réglementer la compétition entre membres de la nobilitas en transférant la lectio senatus à un arbitre indépendant : le censeur. C’est donc un plébiscite essentiel, qui fut d’ailleurs accepté puisque le texte de Festus montre qu’il reçut la sanction du Sénat lui permettant de devenir l’égal d’une loi proprement dite[2].

Concernant sa date, la plupart des historiens qui se penchèrent sur la question ont hésité car elle n’est jamais fournie dans nos sources. Trois grandes théories s’opposent, qui, toutes, le placent après 339. Il existe d’abord les partisans de la datation haute, qui se fondent essentiellement sur une allusion de Denys d’Halicarnasse et sur le rapprochement entre l’œuvre d’Ovinius et celle de Q. Publilius Philo. Le tribunat d’Ovinius et son plébiscite dateraient donc des années comprises entre 339 et l’élection à la censure de Q. Publilius Philo en 332[3]. Il existe ensuite les partisans d’une datation basse, après la lex Hortensia, en se fondant principalement sur l’idée que, ce plébiscite ayant concerné l’ensemble du populus, il ne put être adopté qu’après l’exaequatio entre plebiscitum et lex acquise en 287[4]. Enfin, pour certains ce plébiscite dut nécessairement être voté entre la censure de 318 et la censure d’Ap. Claudius Caecus de 312. Il est alors probable, comme le souligne M. Humm, qu’il ait précédé de peu la lection senatus d’Ap. Claudius Caecus. Il faudrait donc placer le tribunat d’Ovinius en 313 ou 312 et pas plus tard[5].

Ce tribun fut ainsi à l’origine d’une loi décisive pour ce qui concerne l’accès élargi des primores plebis à la conduite de la vie politique et qui marqua une étape cruciale de la fondation de la république dite « classique ». En effet, le plébiscite imposa de choisir les sénateurs ex omnis ordine. Comme l’a souligné T. J. Cornell, dans un tel contexte, cette expression a probablement un sens distributif. Elle indique que les censeurs devaient choisir parmi les citoyens en général, sans critères restrictifs particuliers, y compris parmi ceux n’ayant exercé aucune magistrature. Le seul critère était de faire partie des optimi et renvoie à la cura morum censoriale. C’est d’ailleurs confirmé par la comparaison avec la lectio senatus exceptionnelle de M. Fabius Buteo en 216[6]. Outre des conséquences institutionnelles majeures concernant le Sénat, ce plébiscite eut donc également des répercussions sociales considérables sur la composition de la nobilitas, en particulier pour les plébéiens.

Notes

[1] Résumé de la discussion dans M. Humm, Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome : EFR, 2005, p. 199-208 et dans le volume publié, p. 331-337.

[2] Sur tout ceci, voir St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 3, Book IX, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 385-389 et, surtout, M. Humm, Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome : EFR, 2005, p. 188-190 avec la bibliographie et notre présentation du plébiscite dans le volume publié, p. 331-337.

[3] Cf. par exemple Fr.-H. Massa-Pairault, « Eques romanus-eques latinus (Ve-IVe siècles) », MEFRA, 107/1, 1995, p. 52-55 et T. J. Cornell, « The lex Ovinia and the Emancipation of the Senate », dans Chr. Bruun (éd.), The Roman Middle Republic. Politics, Religion and Historiography, c. 400-133 B. C. (Papers from a Conference at the Institutum Romanum Finlandiae, September 11-12, 1998), Rome : Institutum Romanum Finlandiae, 2000, p. 75-79.

[4] On retrouve cette idée chez E. S. Staveley, « The political Aims of Appius Claudius Caecus », Historia, 8, 1959, p. 413 qui estime possible un plébiscite postérieur à la censure d’Appius Claudius ; A. Momigliano, « An Interim Report on the Origins of Rome », JRS, 53, 1963, p. 95-121 (= Terzo contributo alla storia degli studi classici e del mondo antico, 2, Rome : Edizioni di Storia e Letteratura, 1966, p. 545-598) ; J.-Cl. Richard, Les Origines de la plèbe romaine : essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Rome : EFR, 1978, p. 97, n. 76 (mais seulement à l’état d’hypothèse) ou encore R. E. Mitchell, « The Definition of patres and plebs : An End to the Struggle of the Orders », dans K. A. Raaflaub (éd.), Social Struggles in Archaic Rome. New Perspectives on the Conflict of the Orders, 2e édition revue et augmentée, Malden (Massachusetts) : Blackwell Publishing, 2005, p. 146 (qui est très hésitant). Cf. les analyses de F. X. Ryan, Rank and Participation in the Republican Senate, Stuttgart, Fr. Steiner Verlag, 1998, p. 144.

[5] Voir Th. Mommsen, Le Droit public romain, traduit de l’allemand par P. F. Girard, Paris : E. Thorin, 1889-1896 (réimprimé par de Boccard à Paris en 1984-1985), 4, p. 102 et 7, p. 26 ; P. Willems, Le Sénat de la République romaine, sa composition et ses attributions, Louvain et Paris : Peeters et A. Durand et Pedone-Lauriel, 1, 1878, Louvain, p. 154-157 et p. 185 ; G. Rotondi, LPPR, p. 233-234 ; P. Lejay, « Appius Claudius Caecus », RPh, 44, 1920, p. 105 ; J. Carcopino, « Communication au sujet de la notice de Festus sur le plébiscite ovinien (entre 318 et 312 av. J.-C.) », BSAF, 1929, p. 75 ; G. Niccolini, FTP, p. 389 ; T. R. S. Broughton, MRR, 1, p. 158-159 ; F. Càssola, I gruppi politici romani nel III secolo A. C., Trieste : Arti grafiche Smolars, 1962, 1962, p. 139 ; J. Suolahti, The Roman Censors. A Study on Social Structure, Helsinki : Weilin & Göös, 1963, p. 53-54 ; E. Ferenczy, From the Patrician state to the Patricio-plebeian State, Budapest et Amsterdam : Akadémiai kiadó et A.M. Hakkert, 1976, p. 146 et p. 152-164 ; R. E. A. Palmer, The Archaic Community of the Romans, Cambridge : CUP, 1970, p. 254-255 ; Fr. De Martino, Storia della costituzione romana, Naples : Jovene, 2e édition, 1972, 1, p. 295 et p. 474-475 ; J. Bleicken, Lex Publica. Gesetz und Recht in der römischen Republik, Berlin : W. de Gruyter, 1975, p. 379-380 ; R. Develin, The Practice of Politics at Rome 366-167 B.C., Bruxelles : Latomus, 1985, p. 31-32, p. 148 et p. 219-220 ; K.-J. Hölkeskamp, Die Entstehung der Nobilität. Studien zur sozialen und politischen Geschichte der Römischen Republik im 4. Jhdt. v. Chr., Stuttgart : Fr. Steiner Verlag, 1987, p. 142 ; M. Elster, Die Gesetze der mittleren römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2003, p. 84-89 n° 38 ; F. X. Ryan, Rank and Participation in the Republican Senate, Stuttgart, Fr. Steiner Verlag, 1998, p. 138-139 et p. 144 ; M. Humbert, « La normativité des plébiscites selon la tradition annalistique », dans M. Humbert et Y. Thomas (éd.), Mélanges de droit romain et d’histoire ancienne : hommage à la mémoire de André Magdelain, Paris : LGDJ, 1998, p. 232-236 (mais avec une fourchette chronologique large et non précisée) et M. Humm, Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome : EFR, 2005, p. 190-226.

[6] T. J. Cornell, « The lex Ovinia and the Emancipation of the Senate », dans Chr. Bruun (éd.), The Roman Middle Republic. Politics, Religion and Historiography, c. 400-133 B. C. (Papers from a Conference at the Institutum Romanum Finlandiae, September 11-12, 1998), Rome : Institutum Romanum Finlandiae, 2000, p. 81-89. Cette question a été revue depuis, avec des conclusions similaires, par M. Humm, Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome : EFR, 2005, p. 208-219.