M. Volscius Fictor

RE, IX A 1, 827-828, n° 2 (auteur : H. Gundel) et G. Niccolini, FTP, p. 19-24.

Sources

D.H., 10, 7, à 10, 8 ; 10, 19, 3 ; 10, 22, 1-2 ; 10, 26, 4-5 ; Liv., 3, 13, 1-10 ; 3, 14, 6 ; 3, 21, 3 ; 3, 24, 1 à 9 ; 3, 29, 6 ; 3, 29, 8 et 3, 30, 1-7 ; Paris, 4, 1, 4 et Val. Max., 4, 1, 4.

Notice

M. Volscius Fictor aurait été tribun de 461 à 457, en même temps qu’A. Verginius. Le nom de ce personnage est des plus intéressants. Chez Denys d’Halicarnasse il apparaît sous la forme suivante, sans cognomen : Μάρκον Οὐολούσκιον. C’est Tite-Live qui donne son nom complet avec quelques variantes orthographiques affectant le gentilice mais qui demeurent minimes. Schulze pense qu’on peut le rapprocher de l’étrusque uelscu, mais il est également possible d’y voir, à la suite d’Ogilvie, un nom ethnique dérivé du peuple volsque[1]. Le cognomen de ce personnage est également tout à fait révélateur. Il s’agit d’un dérivé du latin fictor qui désigne soit un artisan, soit, dans un sens second, un simulateur et un menteur. Si les deux sens sont ici valables, l’histoire de M. Volscius Fictor permet d’affirmer que ce surnom lui a été ajouté postérieurement suite à ses fausses accusations lors du procès contre Caeso Quinctius et n’est donc qu’un embellissement de l’annalistique[2]. On peut ajouter pour en finir avec ce nom que les Quinctii ont été impliqués dans un certain nombre de batailles décisives contre les Volsques et qu’il n’est donc certainement pas anodin que le témoin à charge du procès de C. Quinctius se nomme Volscius. Tous ces éléments amènent bien évidemment à douter fortement de l’authenticité d’un tel tribun[3].

En tous les cas, M. Volscius Fictor aurait été tribun de la plèbe de 461 à 457 avec A. Verginius. La tradition relative à la datation de ses tribunats n’est pas complètement unitaire puisque Tite-Live, lorsqu’il le mentionne pour la première fois pour l’année 461, indique qu’il avait déjà été tribun quelques années auparavant. Denys d’Halicarnasse ignore, lui, ce (ou ces) précédent(s) tribunat(s) et fait de son tribunat en 461 le tout premier. Niccolini, puis Broughton n’ont curieusement pas tenu compte de cette indication du Padouan. Il fut par la suite constamment réélu entre 461 et 457. Là encore, une version différente existe puisque Valère Maxime indique que M. Volscius Fictor n’aurait pas pu être élu en 459, sous la pression de Cincinnatus. Cette pression s’explique par l’action principale de Volscius Fictor au cours de son tribunat. Il produisit en effet un témoignage déterminant dans le procès de Caeso Quinctius, fils de Cincinnatus, en rapportant que le jeune homme aurait tué son frère quelques années auparavant lors d’une rixe. C’est chez Denys d’Halicarnasse, où il prend la forme d’un long discours, que ce témoignage est le plus développé. L’intervention de Volscius Fictor fut déterminante dans l’exil de Quinctius. Cependant, quelques temps plus tard, ce témoignage se révéla être un faux et, en 459, les questeurs A. Cornelius et Q. Servilius l’auraient poursuivi en justice pour faux témoignage. Les autres tribuns de la plèbe cherchèrent à empêcher le procès mais Volscius fut finalement condamné en 457 et il s’exila à Lanuvium. Nous ne savons plus rien de lui après cette date.

Le procès de Caeso Quinctius ainsi que l’intervention de M. Volscius Fictor sont problématiques[4]. En fait, si le récit que l’annalistique nous livre de cet événement n’est assurément guère crédible en tant que tel, concernant Volscius Fictor, il est cependant un détail du récit livien qui mérite d’être noté. En effet, lorsqu’il évoque son intervention au cours du procès et son témoignage, Tite-Live mentionne bien que le reproche principal du tribun de la plèbe tenait à ce qu’on l’empêchât, les années précédentes, de porter cette affaire de meurtre devant la justice[5]. Si les tribuns se saisirent de l’affaire, ce fut donc moins pour le meurtre en tant que tel, que pour le déni de justice opposé sciemment à M. Volscius Fictor par les consuls précédents. Il convient alors de rapprocher l’intervention de M. Volscius Fictor des luttes opposant à ce moment les tribuns de la plèbe et les sénateurs au sujet de la mise par écrit des lois. Il offre un cas parfait permettant aux tribuns de justifier leur désir de voir enfin adopter la rogatio Terentilia dont A. Verginius avait fait son cheval de bataille. L’intervention de Fictor trouve sa pleine portée dans la loi des XII Tables et dans la disposition de capite ciuis qui retira aux tribuns la possibilité de faire voter aux tribus la mort d’un citoyen pour les contraindre à la porter devant les centuries et qui créa ainsi une compétence positive au profit des centuries (le monopole de la peine capitale), fut-ce au prix du faux témoignage d’un tribun de la plèbe fort douteux.

Il nous paraît donc évident que M. Volscius Fictor est un personnage à l’historicité peu crédible, qui n’a sans doute jamais été tribun de la plèbe. Pour autant, l’intervention qu’on lui prête dans le cadre du conflit des ordres est tout à fait significative car elle met en lumière les enjeux des luttes des années 460-450, luttes dans lesquelles, en revanche, il n’est pas douteux que les tribuns de la plèbe prissent toute leur part.

Notes

[1] W. Schulze, Zur Geschichte lateinischer Eigennamen, Zürich et Hildesheim : Weidmannsche Buchhandlung, 1904, p. 523, n. 2 et R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy : Books 1-5, Oxford : Clarendon Press, 1984, p. 421.

[2] I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki : Societas scientiarum fennica, 1965, p. 82 et p. 319. Le rapprochement entre le cognomen fictor et les fausses accusations de ce tribun lors du procès de C. Quinctius a été fait d’abord par W. Teuffel dans une version antérieure de la RE. Voir Pauly RE, VI, 2, 2739.

[3] Cf. W. Kunkel, Untersuchungen zur Entwicklung des römischen Kriminalverfahrens in vorsullanischer Zeit, Munich : Verlag der bayerischen Akademie der Wissenschaften, 1962, p. 35 n. 113 : « Schon dieser Name erweckt die stärksten Zweifel an der Glaubwürdigkeit des ganzen Berichts: Volscius Fictor bedeutet “volskischer Lügner”. Der Erfinder der Erzählung hat sich bei der Taufe seines falschen Zeugen nicht sonderlich viel Mühe gemacht: Den Gentilnamen entlehnte er von dem Feinde, den er bei der Schilderung dieses Zeitabschnitts auf jeder Seite ein paarmal erwähnen mußte; das Kognomen bildete er von der Tat, die er seiner Kreatur zuschreiben wollte ».

[4] Pour ce procès et la bibliographie le concernant, voir la notice d’A. Verginius et le volume publié p. 463-466.

[5] C’est M. Humbert qui a soulevé cette question et nous suivons ici son analyse à laquelle nous souscrivons pleinement. Voir M. Humbert, « Les procès criminels tribuniciens du Ve au IVe siècle av. J.-C. », dans Feenstra (R.) éd., Collatio iuris romani. Études dédiées à Hans Ankum à l’occasion de son 65e anniversaire, 2 vol., Amsterdam : J. C. Gieben, 1995, p. 171-176.