M’. Curius Dentatus

RE, IV 2, 1841-1845, n° 9 (auteur : Fr. Münzer) ; BNP, 3, 1017, n° 4 (auteur : K.-L. Elvers) et G. Niccolini, FTP, p. 77-78.

Sources

Ampel., 18, 8 ; Ampel, 28, 3 ; Apul., apol., 10 ; apol., 17 et apol., 18 ; Ath., 419a ; Cassiod., Chron. (AUC 464) ; Cassiod., Chron. (AUC, 479) ; Cassiod., Chron. (AUC, 480) ; Cato, ORF4, frgt 74 Malcovati ; Chronogr. a. 354 (AUC 464) ; Chronogr. a. 354 (AUC 479) ; Chronogr. a. 354 (AUC 480) ; Chr. Pasc. (AUC 479) ; Chr. Pasc. (AUC 480) ; Cic., Mur., 17 ; Mur., 31 ; Sull., 23 ; Sest., 143 ; Cael., 39 ; Pis., 58 ; Planc., 60 ; Cato, 15 ; Cato, 43 ; Cato, 55 ; fin., 2, 30 ; Lael., 18 ; Lael., 28 ; Lael., 39 ; nat. deor., 2, 165 ; parad., 12 ; parad., 38 ; parad., 48 ; parad., 50 ; rep., 3, 6 ; rep., 3, 36, frgt 2 ; Tusc., 1, 110 ; Brut., 55 et Att., IV, 15, 5 ; Claud., in Rufinum, 1, 201-203 ; bell. Gild., 1, 110-112 ; in Eutropium, 1, 435-437 ; in Eutropium, 1, 455-457 ; De IV cons. Honorii, 413-414 ; cons. Stil., II, 377-381 ; bell. Goth., 124-125 et bell. Goth., 129-132 ; Colum., 1, préface, 14 et 1, 3, 10 ; D.C., 8, frgt 36, 33 Boissevain ; D.H., 20, 10 et 12 (= 20, I-K de l’édition Pittia ; le paragraphe 11 de la Loeb apparaît plus haut dans l’édition Pittia où il correspond au paragraphes F et G) ; Eutr., 2, 9, 3-4 et 2, 14, 4-5 ; Fast. Hyd. (AUC 479) ; Fast. Hyd. (AUC 480) ; Fest., p. 43 L., s.v. Curia tifata ; Flor, epit., 1, 10, 1-3 (= 1, 15) ; 1, 13, 6-9 (= 1, 18) ; 1, 13, 21-22 (= 1, 18) et 1, 13, 25-28 (= 1, 18) ; Frontin., aq., 1, 6 ; strat., 1, 8, 4 ; strat., 2, 2, 1 ; strat., 4, 1, 14 et strat., 4, 3, 12 ; Gell., 1, 10, 1 ; 10, 16, 16 et 14, 1, 24 ; Iuv., 2, 1-4 ; 2, 149-157 ; 8, 1-4 et 11, 77-79 ; Liv., 9, 17, 7-8 ; 10, 11, 10 ; 45, 38, 11 ; perioch., 11 et perioch., 14 ; Lucan., 1, 167-170 ; 6, 785-787 ; 7, 358-360 et 10, 150-155 ; Manil., 1, 787 ; Mart., 1, 24 ; 6, 64, 1-3 ; 7, 58 ; 7, 68 ; 9, 27, 6-7 ; 9, 28, 4-5 ; 11, 16, 5-6 et 11, 104, 1-2 ; Oros., hist., 3, 22, 11 et 4, 2, 3-6 ; Paneg., 2 (12), 9, 5 et 10, 14, 2 ; Paris, 4, 3, 5 et 6, 3, 4 ; Plin., nat., 7, 68 ; 7, 166 ; 9, 118 ; 16, 185 ; 18, 18 et 19, 87 ; Plut., Pyrrh., 25, 2-8 ; Cat. Ma., 2, 1 ; Cat. Ma., 8, 14 ; Apophtegme de Curius, 1-2 et Crass., 2, 9-10 ; Plb, 2, 19, 8-12 ; Schol. Cic. Bob., p. 80-81 Stangl ; Sen., dial., 7 (uit. beata), 21, 3 ; dial., 9 (de tranq. an.), 5, 5 ; dial., 10 (breu. uit.), 13, 3 ; dial., 12 (Cons. ad Heluiam), 10, 8 ; benef., 7, 7, 5 et epist., 120, 19 ; Val. Max., 4, 3, 5 ; 4, 4, 11 et 6, 3, 4 ; Varro, Men., frgt 195 Cèbe ; Vell., 1, 14, 6 ; Vir ill., 33 ; 34, 3 et 35, 8 et Zonar., 8, 6.

Notice

M’. Curius Dentatus est un personnage dont l’historicité ne fait aucun doute. Toutefois, à partir de ses hauts faits, cette figure fit l’objet de multiples constructions historiographiques qui l’ont progressivement enrichie et dont l’origine remonte sans doute à Caton l’Ancien[1]. Il s’apparente ainsi ni plus ni moins à une sorte d’homo nouus tout en incarnant un des parangons de la romanité. Son tribunat est peu documenté mais aurait été marqué par l’opposition de Dentatus à Ap. Claudius Caecus. En effet, ce dernier fut, cette même année, interroi et, à ce titre, se serait opposé à l’élection d’un consul plébéien. M’. Curius Dentatus aurait voulu l’en empêcher. Pour cela, Curius aurait obtenu que l’accord du Sénat précédât l’élection au lieu de la suivre, ce qui était contraire aux usages[2]. Du coup, la datation de ce tribunat est controversée même si la date traditionnellement retenue est 298. G. Forni avait proposé de dater l’opposition de Curius à Ap. Claudius l’année suivante, au moment où, selon la tradition, le consul en exercice Q. Fabius Maximus Rullianus s’éleva contre sa propre réélection ainsi que celle de son collègue. Cette proposition paraît cependant difficile à suivre[3]. G. V. Sumner refuse aussi la date de 298 en soulignant que l’antagonisme entre Curius et Ap. Claudius est absent du récit livien pour l’année 298, et que par rapport à ce que nous apprend Cicéron, cette date ne peut convenir. Cela l’amène à proposer une date plus basse, durant un autre interrègne d’Ap. Claudius Caecus : 291[4]. Notons malgré tout que cette opposition réussie de Dentatus semble indiquer qu’il avait su convaincre les Romains ce qui serait la preuve de ses talents d’orateur. D’ailleurs, lorsque Cicéron évoque cette affaire dans le Brutus, il intègre Dentatus à sa généalogie de l’éloquence à Rome et en fait un des onze premiers grands orateurs, le plaçant à la huitième place, entre Ti. Coruncanius et C. Flaminius[5].

La carrière de M’. Curius Dentatus se poursuivit ensuite. Il fut consul en 290, en même temps que P. Cornelius Rufinus[6]. En tant que consul, il participa à un certain nombre de campagnes décisives. Il combattit les Samnites et les Sabins et obtint deux triomphes. Il gagna également une ovation sur les Lucaniens[7]. Son consulat fut marqué par son comportement concernant la répartition du butin qui devait faire de lui un exemplum pour la République. En effet, au moment de la distribution des terres, il refusa de recevoir plus que les simples citoyens et se contenta d’un lot de sept jugères, histoire particulièrement célèbre[8]. Une autre anecdote, encore plus fameuse, associe Curius aux Samnites. Alors que ces derniers se seraient présentés à lui pour lui offrir de l’or, ils l’auraient trouvé devant sa maison — extrêmement rudimentaire — en train de cuire des navets dans un bol en terre cuite. Curius aurait dédaigné leur proposition en leur répondant qu’il préférait commander à ceux qui ont de l’or que d’en avoir lui-même[9]. Le considérable succès historiographique de cet épisode témoigne, quelle que fût son authenticité, de l’image très nette qui était celle de Curius.

Il occupa ensuite un autre poste, de nature également discutée, en 283, durant le siège d’Arretium. Nous sommes principalement renseignés sur cette magistrature par Polybe. Selon ce dernier, M’. Curius aurait succédé au préteur élu normalement pour l’année — L. Caecilius — parce que ce dernier serait mort au combat. Le problème vient cependant de ce que Polybe fait de Caecilius un consul. Toutefois, dans les autres sources qui mentionnent cette affaire, Caecilius apparaît en tant que préteur[10]. Ce point a fortement fait débat, ne serait-ce qu’en raison de la valeur attribuée à Polybe comme source. Cependant, même si les autres textes ne mentionnent pas Curius, on devrait raisonnablement penser qu’il fut bien préteur suffect et non pas consul suffect. C’est à ce titre qu’il aurait mené campagne contre les Sénontes et qu’il les vainquit. Les Romains fondèrent sur leur territoire la colonie de Séna. Une autre solution a été proposée par Broughton qui pense qu’il faut sans doute y voir un commandement d’urgence exceptionnel, sans titre particulier, semblable à celui exercé par L. Marcius en Espagne en 211. Cela pourrait justifier les hésitations de nos sources[11].

Quelques années plus tard, M’. Curius Dentatus fut à nouveau consul, deux années de suite, en 275 et 274. Lors de son deuxième consulat, il participa à la guerre contre Pyrrhus et affronta directement le général grec auquel il administra la défaite qui scella les espoirs de son entreprise italienne. Cette victoire rapporta à Rome un butin considérable et Dentatus obtint le triomphe. Ce fut d’ailleurs le premier triomphe où l’on vit défiler des éléphants. Ce consulat fut également marqué par une anecdote qui ne fit que renforcer l’aspect intraitable du caractère de Dentatus. En effet, alors qu’il procédait à un dilectus, un des soldats appelés ne se présenta pas. Dentatus le fit vendre comme esclave. Le consulat de 274 est moins documenté mais sans doute cela tient-il au fait que ces événements n’étaient pas toujours spécifiquement rapportés à une année en particulier dans les sources.

Il obtint la censure en 272. Durant cette magistrature, il mit en adjudication, grâce à l’argent des victoires contre Pyrrhus, la construction d’un aqueduc devant apporter l’eau de l’Anio dans Rome. La construction prit un certain temps puisque, deux ans plus tard, en 270, elle n’était toujours pas achevée. M’. Curius fut alors élu duumuir aquae perducendae en compagnie de M. Fulvius Flaccus pour achever l’édifice. Nous ne sommes renseignés sur cette dernière fonction que par Frontin. Selon ses dires, Manius mourut quelques jours après sa prise de fonction et il revint à Fulvius d’achever l’édifice. Mentionnons alors l’hypothèse de L. Ross Taylor qui veut que Curius ait choisi le nom des tribus Velina et Quirina (ce dernier viendrait d’ailleurs de son propre patronyme) et qu’il aurait planifié l’organisation de ces deux tribus au moment de son accession à la censure. Sa mort empêcha cette réalisation et des arrangements différents furent pris par les censeurs suivants[12]. Au final, il s’agit d’une figure historique tout à fait intéressante. Dans les sources, il apparaît comme typique des vertus romaines et comme un exemplum vivant doublé d’un grand homme[13]. Il n’est de ce point de vue pas anodin que Caton l’Ancien l’ait pris pour modèle[14].

Notes

[1] Voir déjà les remarques de G. Forni, « Manio Curio Dentato. Uomo democratico », Athenaeum, XLI, 1953, p. 172 et, surtout, Cl. Berrendonner, « La formation de la tradition sur M’. Curius Dentatus et C. Fabricius Luscinus : un homme nouveau peut-il être un grand homme ? », dans M. Coudry et Th. Späth, L’Invention des grands hommes de la Rome antique/Die Konstruktion der großen Männer Altroms. Actes du colloque du Collegium Beatus Rhenanus (Augst 16-18 septembre 1999), Paris : De Boccard, 2001, p. 100-104. Voir aussi en général sur Curius, St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 3, Book IX, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 213-214.

[2] Sur ce sujet, voir E. Pais, Ricerche sulla storia e sul diritto pubblico di Roma, Rome : P. Maglione & C. Strini, 3, 1918, p. 70-71 ; G. Forni, « Manio Curio Dentato. Uomo democratico », Athenaeum, XLI, 1953, p. 170-239 ; A. Olivesi, « Manius Curius Dentatus et le mouvement démocratique à Rome au début du IIIe siècle av. J.-C. », IH, 18, 1956, p. 85-90 ; F. Càssola, I gruppi politici romani nel III secolo a.C., Trieste : Arti grafiche Smolars, 1962, p. 135-137 ; L. Loreto, « Sui mecanismi della lotta politica a Roma tra il 314 e il 294 a.C. Considerazioni su quattro casi », AFLF, 24, 1991, p. 61-76 et St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 3, Book IX, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 370-372 et 4, p. 160-161.

[3] G. Forni, « Manio Curio Dentato. Uomo democratico », Athenaeum, XLI, 1953, p. 187-193 et, contra, St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 4, Book X, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 42, n. 2. Cf. aussi R. E. A. Palmer, The Archaic Community of the Romans, Cambridge : CUP, 1970, p. 269.

[4] G. V. Sumner, The Orators in Cicero’s Brutus: Prosopography and Chronology, Toronto : UTP, 1973, p. 28-29 et T. R. S. Broughton, MRR, 3, p. 78.

[5] Cic., Brut., 53-57.

[6] InscrIt, XIII, 1, p. 112 et p. 428-429.

[7] InscrIt, XIII, 1, p. 544-545 et St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 4, Book X, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 293-294. Sur ces conquêtes, voir aussi R. Torelli Marina, « La conquista romana della Sabina », DArch., 5, 1, 1987, p. 43-51 ; E. Gabba, « Allora i Romani conobbero per la prima volta la ricchezza », AIIN, 36, 1989, p. 9-17 ; E. Hermon, « M’. Curius Dentatus et les ventes questoriennes au IIIe siècle avant J.-C. », SCI, 16, 1997, p. 32-42 et Ead., « Conquête et aménagement du territoire dans la Sabine du IIIe siècle avant J.-C. », CEA, 34, 1998, p. 55-64.

[8] On mesurera la renommée de ces légendes à l’aune de leur réutilisation par des auteurs bien postérieurs. Cf., sur ce cas précis, Montesquieu, De l’esprit des lois, V, 6.

[9] Dans certaines sources, cet épisode est rapporté à C. Fabricius. Cf. en particulier Hygin dans Gell., 1, 14 et Serv., Æn., 6, 844. Chez Val. Max., 4, 3, 6 et Ps. Frontin., strat., 4, 3, 2, l’épisode contamine l’histoire de Fabricius. Voir aussi St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 3, Book IX, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 518.

[10] Voir Liv., perioch., 12 ; Oros., hist., 3, 22, 13-14 ; et InscrIt, XIII, 1, p. 112 pour l’année 284.

[11] Cf. J. H. Corbett, « Rome and the Gauls 285-280 B.C. », Historia, 20, 1971, p. 656-664 ; T. R. S. Broughton, MRR, 3, p. 78-79 ; T. Corey Brennan, « M’. Curius Dentatus and the praetor’s right to triumph », Historia, 43, 4, 1994, p. 423-449 et St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 3, Book IX, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 582.

[12] L. Ross-Taylor, The Voting Districts of the Roman Republic, The Thirty Five Urban and Rural Tribes, Rome : American Academy in Rome, 1960, p. 63-64.

[13] Cl. Berrendonner, « La formation de la tradition sur M’. Curius Dentatus et C. Fabricius Luscinus : un homme nouveau peut-il être un grand homme ? », dans M. Coudry et Th. Späth, L’Invention des grands hommes de la Rome antique/Die Konstruktion der großen Männer Altroms. Actes du colloque du Collegium Beatus Rhenanus (Augst 16-18 septembre 1999), Paris : De Boccard, 2001, p. 97-98.

[14] Constituant d’ailleurs au passage la première strate de l’élaboration de cette figure en exemplum. Cf. C. Berrendonner, « La formation de la tradition sur M’. Curius Dentatus et C. Fabricius Luscinus : un homme nouveau peut-il être un grand homme ? », dans M. Coudry et Th. Späth, L’Invention des grands hommes de la Rome antique/Die Konstruktion der großen Männer Altroms. Actes du colloque du Collegium Beatus Rhenanus (Augst 16-18 septembre 1999), Paris : De Boccard, 2001, p. 100-102.