L. Sicinius L. f. Vellutus (Bellutus)

RE, II A 2, 2195-2196, n° 4 (auteur : Fr. Münzer) et G. Niccolini, FTP, p. 1-6.

Sources

Ascon., Corn., 76 et 77 Clark (= p. 60 Stangl) ; Calp. hist., frgt 25 Chassignet (= frgt 23 P1et 2 = frgt 30 F = frgt 24 B, apud Liv., 2, 58, 1) ; D.S., 11, 68, 8 (sur le collège de 470) ; D.C., 4, frgt 17, 9 Boissevain et 5, frgt 18, 5 Boissevain ; D.H., 6, 45, 2-3 ; 6, 70, 2 ; 6, 72, 1-2 ; 6, 82 ; 6, 89, 1 ; 6, 96, 2 ; 7, 14, 2 ; 7, 33-36 ; 7, 39, 1 et 7, 61, 1 ; Eutr., 1, 15, 1 ; Gell., 17, 21, 11 ; Liv., 2, 32, 2 ; 2, 33, 1-3 ; 2, 34, 9 ; 2, 58, 1-2 et 2, 54, 12 ; Plut., Cor., 7, 1-2 et Cor., 13, 1 ; Sempr. Tudit., frgt 4 Chassignet (= frg 4 P1 et 2, apud Ascon., Corn., p. 77 Clark = p. 60 Stangl) et Zonar., 7, 16.

Notice

L. Sicinius L. f. Vellutus (Bellutus) aurait fait partie du premier collège tribunitien créé en 493 et fut tribun une seconde fois en 491 après avoir été entre temps édile de la plèbe. Toutefois, l’existence de ce personnage ne va pas sans poser de considérables problèmes historiques qui tournent autour de son nom et, partant, autour de son authenticité et de celle de l’ensemble du collège tribunitien de 493[1]. Les auteurs latins présentent déjà quelques divergences à son sujet. Asconius, T. Pomponius Atticus et C. Sempronius Tuditanus le présentent comme se nommant : L. Sicinius L. f. Velutus. Tite-Live, source principale, parle bien d’un Sicinius mais l’appelle uniquement ainsi, sans plus de précision, même s’il parle plus loin d’un : « Gaius Sicinius, descendant du premier tribun créé sur le Mont Sacré, si l’on en croit la tradition »[2]. Selon lui, il ne fut pas nommé dans le premier collège tribunitien mais seulement coopté. Cette nuance est d’importance car, dans le récit livien, Sicinius apparaît de façon claire comme un des meneurs de la plèbe révoltée et se présente même comme une sorte de figure archétypale du tribun de la plèbe, notamment dans le discours de Coriolan au Sénat.

Les choses se compliquent avec le témoignage des auteurs grecs. Denys d’Halicarnasse est sans conteste le plus complet à son sujet et le seul qui lui donne tous ses noms, l’appelant successivement : Σικίννος, Σικίννιος Βελλοῦτος et enfin Γάιος Σικίννιος Βελλοῦτος. Plutarque suit Denys d’Halicarnasse mais ne l’appelle que Σικίννιος Βελλοῦτος, sans praenomen et parle ensuite d’un simple Σικίννιος. À l’inverse, Dion Cassius ne parle que d’un simple Γάιόν, mais dont il fait un des meneurs de la plèbe. Or, le seul autre tribun attesté portant ce même praenomen est G. Licinius qui, s’il n’est nulle part mentionné comme un des chefs de la sécession, fait quand même partie des deux tribuns nommés chez Tite-Live, et non des trois cooptés. Malgré cela, et en raison des nombreux autres témoignages qui mettent particulièrement en avant la personne de Sicinius, nous pouvons raisonnablement identifier ce Γάιόν avec Sicinius. Le principal problème vient donc d’un texte de Diodore de Sicile qui, pour l’année 471, mentionne un Γάιος Σικίνιος tribun de la plèbe et semblant indiquer qu’il faisait partie du premier collège de tribuns créé à Rome. Se pose alors la question de la validité de ce témoignage et du fait de savoir s’il s’agit ou non du même personnage.

En fait, il est possible de partir du constat de l’assez grande unanimité des sources concernant le nom et la date[3]. En effet, il est certain que la plupart de nos sources ont la conviction qu’un Sicinius Velutus (ou Bellutus) fut présent à l’origine du tribunat de la plèbe et, même, dans les luttes qui précédèrent, c’est-à-dire dès 494-493. L’origine de son cognomen demeure mystérieuse car il est le seul de ce type qui nous soit connu[4]. Chez Denys d’Halicarnasse, il est présenté comme un des instigateurs directs de la sécession et il fut aussi édile de la plèbe l’année suivante en compagnie de L. Iunius Brutus. Chez Tite-Live, c’est également lui qui poussa l’armée à cesser d’obéir aux consuls. Ajoutons-y que le témoignage de Diodore de Sicile ne saurait être appliqué à l’année 494 mais concerne bien l’année 470. En effet, stricto sensu, ce passage peut tout à fait se comprendre comme indiquant non pas que ce fut là la première élection de tribuns de la plèbe mais la première fois que quatre tribuns furent élus, ce qui n’est pas la même chose[5]. Si c’est bien ainsi qu’il doit être lu — et ce que rapportent les autres sources plaident en ce sens — le nom ne pose plus de problème. Il faut simplement supposer que Diodore conserva la trace du nom authentique du tribun de 470, alors que Pison et Tite-Live l’ont déformé par un mélange de traditions. De la sorte, il apparaît clairement que le nom de Sicinius était, pour nos sources, intimement mêlé à la création du tribunat de la plèbe et que ce personnage, dont nous ne savons presque rien passait pour y avoir joué un grand rôle. Dès ce premier collège, le portrait psychologique qui est dressé de Sicinius (surtout par Denys d’Halicarnasse) est très révélateur quant à l’image que nos sources se font des tribuns de la plèbe. Par la suite, il intervint à nouveau lors du procès de Coriolan. Dans le récit de Denys d’Halicarnasse, après que Sicinius eut lancé la procédure d’accusation, les patriciens, cherchant à protéger Coriolan, demandèrent qu’un décret préliminaire du Sénat soit pris pour autoriser la procédure au motif que le peuple n’aurait pas un tel pouvoir. Sicinius refusa au départ d’accéder à cette requête mais son collègue Decius l’accepta au contraire. On retrouve ici l’intransigeance du personnage qui s’accorde à l’image globale des Sicinii.

C’est donc un tribun problématique dont la figure fut retravaillée à l’aune d’au moins deux figures postérieures : T. Sicinius, tribun de la plèbe en 395 et qui avait agité la plèbe par un projet de loi concernant le territoire de Véies ; et Cn. Sicinius, tribun de la plèbe en 76, qui fut un des plus fervents à réclamer la restauration du tribunat de la plèbe[6]. Dès lors, les détails fournis sur le tribun de 493 sont à considérer avec précaution, mais l’idée qu’un Sicinius ait été membre du premier collège tribunitien paraît trop fortement ancrée dans les sources pour pouvoir être écartée. Par ailleurs, d’après Denys d’Halicarnasse, les tribuns de ce collège auraient poussé le peuple à participer au paiement des funérailles d’Agrippa Menenius.

Notes

[1] Voir notre discussion complète de ces problèmes de noms dans Th. Lanfranchi, « Le premier collège tribunicien dans les manuscrits de Denys d’Halicarnasse », RPh, 87/2, 2013, p. 99-120.

[2] Liv., 3, 54, 12 : tum C. Sicinium, progeniem eius quem primum tribunum plebis creatum in Sacro monte proditum memoriae est… (traduction G. Baillet).

[3] R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy : Books 1-5, Oxford : Clarendon Press, 1984, p. 311-312 qui reconnaît la grande force de la tradition associant ce personnage aux origines du tribunat de la plèbe.

[4] I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki : Societas scientiarum fennica, 1965, p. 100 et p. 346.

[5] Cf. notre discussion du problème dans le volume publié.

[6] Ce rapprochement se trouve dans J.-Cl. Richard, Les Origines de la plèbe romaine : essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Rome : EFR, 1978, p. 569.