L. Iunius Brutus

RE, X 1, 968-970, n° 47 (Fr. Münzer) ; BNP, 6, 1093, n° I 5 (auteur : K.-L. Elvers) et G. Niccolini, FTP, p. 1-6.

Sources

D.H., 6, 70 ; 6, 72, 2-5 ; 6, 73 à 79 ; 6, 80 à 6, 81, 1 ; 6, 83, 3 ; 6, 87 à 89 ; 6, 96, 2 ; 7, 14 à 17 et 7, 36, 1-2 ; Plut., Cor., 7, 1-2 et Cor., 13, 1 ; Suid., (à l’article Δήμαρχοι).

Notice

L. Iunius Brutus aurait fait partie du premier collège tribunitien, en 493. Comme l’indique Münzer dans sa notice pour la RE, L. Iunius Brutus apparaît comme un étrange sosie plébéien du premier Brutus connu (consul en 509), sosie qui serait, pour lui, « als solcher eingeführt und ausgestaltet »[1]. C’est que la réalité de l’existence de ce tribun paraît fort douteuse puisqu’il s’insère dans la trilogie des Brutus, entre le fondateur de la République et le césaricide. En outre, s’agissant d’un personnage au patronyme très connoté, la prudence est de mise, surtout qu’il est un des tribuns de 493 les moins attestés dans les sources : il n’est mentionné que chez Denys d’Halicarnasse, Plutarque et la Souda alors que Tite-Live ne l’évoque jamais. Enfin, il est exclu qu’il ait fait partie de la famille du consul de 509 car ce dernier, si tant est qu’il ait existé, est mentionné comme patricien par Denys d’Halicarnasse tandis que Tite-Live en fait un membre de la famille royale[2]. De fait, son authenticité est depuis longtemps mise en doute. K. Neumann estimait déjà qu’à l’instar du consul de 509, il n’était qu’une invention qu’il attribuait à l’action de Cn. Flavius. Ce dernier aurait ainsi voulu honorer C. Iunius Bubulcus Brutus, consul en 317, 313, 311 puis censeur en 307[3].

Au sein du premier collège tribunitien, Brutus fut un personnage très actif, véritable force agissante de la plèbe en rébellion. Denys d’Halicarnasse le présente même comme quelqu’un de particulièrement turbulent et séditieux. Il prit assez vite le pas sur le premier chef de la sécession — Sicinius — et s’adressa à la foule lors d’un grand discours. C’est lui qui demanda la création du tribunat de la plèbe aux envoyés du Sénat et il fit partie de la délégation plébéienne au Sénat avec M. Decius et Sp. Icilius, le texte de Denys semblant même sous-entendre qu’il en était officieusement le chef. En tant qu’un des premiers tribuns de la plèbe, et en accord avec Sicinius, il demanda et obtint l’inviolabilité du tribunat en faisant voter l’inviolabilité, puis en faisant jurer le serment de sacratio le protégeant. D’après Denys d’Halicarnasse, les tribuns de ce collège aurait également poussé le peuple à participer au paiement des funérailles d’Agrippa Menenius. Son rôle ne s’arrêta toutefois pas là et L. Iunius Brutus resta politiquement actif au moins les deux années suivantes. En 492 d’abord, il aurait été édile de la plèbe. C’est à ce titre qu’il semble avoir été l’instigateur d’un plébiscite (17) attribué parfois à C. Icilius Ruga — ce dernier n’en aurait en fait été que le rapporteur si l’on suit Denys — qui visait à empêcher tout dérangement des réunions de la plèbe et en particulier l’intervention des consuls lors de ces conciles[4]. Durant cette année et la suivante, Rome eut également à faire face à la rébellion de Coriolan. Toujours selon Denys d’Halicarnasse, Brutus aurait joué un rôle déterminant dans cette affaire qui trouvait son origine dans une pénurie de céréales. En 491, un gros arrivage de blé arriva de Sicile et Coriolan voulait empêcher qu’on le vende à vil prix pour satisfaire la plèbe. S’ensuivit un conflit entre lui et les tribuns qui voulurent le saisir comme n’importe quel citoyen. Alors que la situation s’envenimait, ce serait Brutus qui aurait soufflé à Sicinius, tribun en exercice, l’idée d’un procès.

L. Iunius Brutus présente enfin un caractère des plus intéressant. À lire Denys, il semble qu’il ne portait pas le cognomen de Brutus au départ mais qu’il le fit ajouter à ses autres noms pour s’identifier au Brutus de 509. Cette vanité déclenchait de nombreuses moqueries et témoigne chez ce personnage d’un complexe ambigu tenant à la fois de l’infériorité et de l’identification. Surtout, de telles railleries sur son patronyme ne sont pas sans rappeler celles dont fut victime le césaricide M. Iunius Brutus pour des prétentions similaires mais aussi ce que dit Tite-Live du Brutus de 509[5]. De tels rapprochements affectent bien évidemment l’historicité de ce tribun, d’autant plus que ce cognomen est à coup sûr une invention de l’annalistique décalquée de la figure plus tardive du Brutus de la fin de la République. Ainsi, ce tribun est à coup sûr fictif. Pour autant, le personnage en lui-même n’en demeure pas moins extrêmement révélateur.

Notes

[1] Voir également sur ce personnage K. Neumann, « L. Iunius Brutus », dans Strassburger Festschrift zur XLVI. Versammlung deutscher Philologen und Schulmänner herausgegeben von der philosophischen Facultät der Kaiser-Wilhelms-Universität, Strasbourg, 1901, p. 309-332 ; E. Pais, Ricerche sulla storia e sul diritto pubblico di Roma, Rome : P. Maglione & C. Strini, 3, 1918, p. 102-103 ; G. Niccolini, Il Tribunato della plebe, Milan : U. Hoepli, 1932, p. 47-48 ; R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy : Books 1-5, Oxford : Clarendon Press, 1984, p. 309-312 ; A. Mastrocinque, Lucio Giuno Bruto, Ricerche di storia, religione e diritto sulle origini della repubblica romana, Trente : La Reclame, 1988, p. 95-101 et, récemment, K.-W. Welwei, « Lucius Iunius Brutus: zur Ausgestaltung und politischen Wirkung einer Legende », Gymnasium, 108, 2, 2001, p. 123-135.

[2] D.H., 5, 18, 1 et 2 et Liv., 1, 56, 7.

[3] K. Neumann, « L. Iunius Brutus », dans Strassburger Festschrift zur XLVI. Versammlung deutscher Philologen und Schulmänner herausgegeben von der philosophischen Facultät der Kaiser-Wilhelms-Universität, Strasbourg, 1901, p. 309-332.

[4] B. Santalucia, Studi di diritto penale romano, Rome : L’« Erma » di Bretschneider, 1994, p. 69.

[5] Sur cette question du surnom voir Macr., sat., 1, 12, 32 et Liv., 1, 56, 8 à 10. Voir également I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki : Societas scientiarum fennica, 1965, p. 68-69 et p. 264 et H. Solin, « Sulla nascita del cognome a Roma », dans P. Poccetti (éd.), L’Onomastica dell’Italia antica. Aspetti linguistici, storici, culturali, tipologici e classificatori, Rome : EFR, 2009, p. 267-268.