L. Icilius

RE, IX 1, 851-853, n° 2 (auteur Fr. Münzer) ; BNP, 6, 706, n° 1 (auteur : Chr. Müller) et G. Niccolini, FTP, p. 24-26 et p. 28-32.

Sources

D.H., 10, 31 à 10, 33 ; 10, 40, 1-3 ; 11, 28, 1-2 ; 11, 28, 7 ; 11, 30, 1-2 ; 11, 31, 3 à 11, 32, 1 ; 11, 33, 3 ; 11, 37, 7 ; 11, 38, 2 ; 11, 46, 5 et 11, 50 ; Liv., 3, 31, 1-2 ; 3, 32, 7 ; 3, 35, 4-5 ; 3, 44, 3 ; 3, 44, 7 ; 3, 45, 1 à 3, 46, 10 ; 3, 47, 1 à 3, 48, 9 ; 3, 49 ; 3, 51, 6-11 ; 3, 54, 11-15 ; 3, 57, 4 ; 3, 58, 5-6 ; 3, 63, 8-11 ; 3, 65, 9 et Zonar., 7, 18.

Notice

L. Icilius fut tribun de la plèbe en 456 et 455 et sans doute aussi en 449 et fut un tribun important. Son nom est bien assuré dans la tradition manuscrite chez Denys d’Halicarnasse. C’est également le cas chez Tite-Live même si on doit relever quelques variantes. Son nom apparaît d’abord lorsqu’est mentionnée la lex Icilia de Auentino publicando[1] et, ici, Icilia est une correction de Glareanus. Certains manuscrits (Mediceus, Harleianus, Parisiensis et Vpsaliensis) donnent acilia et le codex Oxoniensis ialia. De la même façon, plus loin, la leçon Iciliosque est une correction d’Aldus. Il en existe les variantes suivantes : siciliosque (Veronensis et Harleianus) ; siliciosque (Mediceus, Parisiensis et Vpsaliensis) et silitiosque (Oxoniensis)[2]. Des hésitations similaires se retrouvent à trois endroits :

  • Liv., 3, 44, 3 : L. Icilio tribunicio (Mediceus, Harleianus, Oxoniensis, Parisianus) ; icilio iunio (Vpasliensis) et l. sicilio (Veronensis) ;
  • Liv., 3, 63, 8 : une hésitation car le Veronensis donne Q. Sili[ci]us mais l’ensemble de la tradition symmachienne donne L. Icilius ;
  • Liv., 3, 65, 9 : nouvelle hésitation où le Mediceus et le Parisiensis donnent Sicilio.

Partout ailleurs, et ce tribun apparaît à de nombreuses reprises, le nom ne pose pas de problème[3] et il est donc assez sûr. Enfin, il est mentionné chez Zonaras[4]. Là aussi, il y a des hésitations de manuscrits relevées par Boissevain. Les Cοlberteus Monacensis et Parisinus donnent Λουκίῳ Ἰκιλλίῳ et le Vindobonensis donne λουκιλλίω κιλλίω. Globalement donc, L. Icilius est le choix le plus sûr.

Il fut d’abord tribun deux années d’affilée, en 456 et 455, dans les premiers collèges qui, si l’on en croit Tite-Live, comportèrent dix tribuns. Il est alors présenté comme le meneur de ces deux collèges mais cette mention pourrait n’être due qu’à l’image des Icilii chez les historiens postérieurs. C’est durant son premier mandat qu’il semble avoir été le rapporteur d’un projet de plébiscite de lotissement de l’Aventin qui nous est connu sous le nom de lex Icilia de Auentino publicando (41). La nature même de cette lex peut, a priori, poser problème en raison du texte de Tite-Live qui semble parler d’une loi sacrée[5]. Il est en réalité certain qu’il ne peut s’agir d’une loi et encore moins d’une loi sacrée mais bien d’un plébiscite. Le récit de Denys le confirme qui ne fait nullement mention de cette question. Si Tite-Live parle en fait d’une loi c’est parce que ce plébiscite fut accepté par le Sénat, qui lui conféra son auctoritas pour le rendre effectif pour toute l’Vrbs. Contrairement à Tite-Live d’ailleurs, Denys est beaucoup plus complet dans sa narration des événements des années 456 et 455 et il se livre à un ensemble de descriptions absentes du récit livien. Il rapporte ainsi les luttes menées par Icilius pour faire passer sa loi et il est de ce point de vue significatif que, pour un personnage ressortissant d’une famille aussi importante que les Icilii, il ne le nomme au départ que par son seul nom de famille et insiste sur son éloquence. Dès l’année suivante, il nous donne cependant son prénom et explique qu’il était le chef du collège tribunitien[6]. Sur la loi elle-même, nous avons là aussi plus de détails. Denys décrit l’Aventin et explique comment Icilius s’y prit pour faire passer son projet de loi, en forçant la porte du Sénat et en expliquant qu’il pourrait éviter ainsi une sécession. Notons que, dans cette lutte pour obtenir satisfaction, Icilius aurait, toujours selon Denys, eu recours à la loi sacrée instaurée en même temps que le tribunat de la plèbe pour justifier certaines de ses actions et en particulier pour avoir projeté de jeter un licteur qui s’était opposé à lui du haut de la roche tarpéienne. Finalement, à l’exception d’un Claudius, tous les sénateurs donnèrent leur accord et la loi fut votée par les comices centuriates. Elle comportait, selon nos sources, trois grandes directions : le respect des propriétés légitimes ; l’indemnisation par l’État pour la récupération des constructions illégales et la distribution gratuite à la plèbe des terrains vacants ou récupérés. Le texte de cette loi aurait été gravé sur une stèle de bronze placée dans le temple de la Diane aventine. Cet ensemble de mesures est anachronique et Pais, déjà, avait montré qu’il ne pouvait se concevoir dans ce que nous connaissons du contexte économique et social de l’Vrbs à cette époque, notamment pour ce qui concerne les opérations techniques nécessaires à son application[7]. On peut donc y lire une réélaboration à partir de la législation gracquienne ou de la situation des IIe-Ier siècles[8]. Mais le plus important n’est peut-être pas là et réside plus dans la certitude d’une loi à cette époque. Le fait qu’elle ait été acceptée doit d’ailleurs être rapproché du combat mené au même moment en faveur du plébiscite de Terentilius Harsa (33) puisque, lors de son deuxième mandat, Icilius s’employa avec ses collègues à essayer de faire adopter la proposition d’Harsa. Ce fut un nouvel échec car une guerre contre les Èques provoqua l’ajournement de toutes les discussions. Par ailleurs, la personnalité de son auteur, Icilius, n’est pas anodine, et ce d’autant plus qu’il a ici un comportement caractéristique de son nom.

Il faut aussi identifier ce tribun au L. Icilius qui fut le fiancé de Virginie. En effet, même si ni Tite-Live ni Denys d’Halicarnasse ne le disent formellement, trois éléments jouent en faveur de cette hypothèse : l’identité des noms, la proximité temporelle, la mention du fait que le fiancé de Virginie était un ancien tribun. Notre personnage joua un rôle important dans cette célèbre histoire[9]. Il se hâta d’abord de venir protéger la jeune fille avec P. Numitorius et les deux hommes obtinrent le report du jugement au lendemain. Ils envoyèrent ensuite le frère d’Icilius et le fils de Numitorius chercher Verginius qui était retenu à l’armée. Une fois la jeune fille assassinée, il appela immédiatement le peuple de Rome à la vengeance — toujours avec P. Numitorius. Denys d’Halicarnasse ajoute un élément en en faisant celui qui mit M. Claudius face à ses responsabilités de faux accusateur tandis que Tite-Live laisse penser que ce rôle revint plutôt au père de Virginie. Cette légère différence pèse peu face à la concordance des deux récits qui témoigne très certainement de ce que l’histoire de Virginie reposait sur une tradition relativement ancienne et unifiée. Enfin, il apparaît comme un des meneurs de la nouvelle sécession de la plèbe. Il agit lorsque Ap. Claudius tenta une fois de plus de se faire réélire, et fut un des initiateurs de cette nouvelle sécession, son porte-parole lors des négociations avec les légats du Sénat et fit partie des tribuns élus en 449. Une fois tribun, il fut le rapporteur d’importantes décisions sur l’impunité de la sécession[10] et sur le triomphe des nouveaux consuls L. Valerius et M. Horatius. Denys d’Halicarnasse est plus succinct sur cette partie de la carrière de L. Icilius mais sans doute est-ce dû au fait que son compte-rendu ne nous en est parvenu que tronqué.

La carrière de L. Icilius se présente donc suivant trois grands moments : sa loi de lotissement de l’Aventin, son action en tant que fiancé de Virginie et son action en tant que chef de la plèbe en sécession. Cette division a amené à penser parfois, comme le fait Münzer dans son article de la RE, qu’il y aurait eu là trois figures historiques artificiellement réunies par les annalistes plus tardifs. L’argument n’est, à notre sens, pas convaincant. Il nous semble plus juste de considérer que le nom d’Icilius était resté attaché à un certain nombre d’événements de cette période charnière et que, à partir de ce point fixe et de l’image générée par la gens Icilia, les historiens ont reconstruit la figure unitaire et turbulente qu’il nous est donnée de lire aujourd’hui. Elle n’en demeure pas moins plausible.

Notes

[1] Liv., 3, 32, 7.

[2] Liv., 3, 35, 5.

[3] 3, 44, 7 ; 3, 45, 5 ; 3, 45, 6 ; 3, 45, 8 ; 3, 46, 1 ; 3, 46, 2 ; 3, 46, 4 ; 3, 46, 5 ; 3, 46, 7 ; 3, 46, 8 ; 3, 47, 3 ; 3, 47, 7 ; 3, 48, 1 ; 3, 48, 7 ; 3, 48, 9 ; 3, 49, 2 ; 3, 49, 3 ; 3, 51, 7 ; 3, 51, 8 ; 3, 54, 11 ; 3, 54, 14.

[4] Zonar., 7, 18. Sur les problèmes plus généraux posés par le nom des Icilii du Ve siècle, voir Th. Lanfranchi, « Le premier collège tribunicien dans les manuscrits de Denys d’Halicarnasse », RPh, 87/2, 2013, p. 99-120.

[5] Liv., 3, 32, 7 avec la note de Jean Bayet sur ce problème ; G. Rotondi, LPPR, p. 199-200 et D. Flach, Die Gesetze der frühen römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 95-98 n° 22.

[6] D.H., 10, 31, 2.

[7] E. Pais, Storia critica di Roma durante i primi cinque secoli, 2, La Libera Repubblica e la legislazione decemvirale. Le Guerre contro gli Equi, i Volsci e gli Etruschi, Rome : E. Loescher & C.°, 1913, p. 211-216. Sur cette loi, on consultera, R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy : Books 1-5, Oxford : Clarendon Press, 1984, p. 447 ; F. Serrao, « Lotte per la terra e per la casa a Roma dal 485 al 441 a. C. », dans F. Serrao (éd.), Legge e società nella repubblica romana, Naples : Jovene, 1, 1981, p. 51-196 ; U. Paananen, « Legislation in the comitia centuriata », dans U. Paananen, K. Heikkilä, K. Sandberg, L. Savunen et J. Vaahtera, Senatus populusque romanus: studies in Roman republican legislation, Helsinki : Helsinki University Press, 1993, p. 15-16 ; D. Flach, Die Gesetze der frühen römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 95-98 n° 22 ; E. Hermon, « Coutumes et lois dans l’histoire agraire républicaine », Athenaeum, 82, 1994, p. 496-505 ; G. Falcone, « Ricerche sull’origine dell’interdetti uti possidetis », ASGP, 45, 1996, p. 197-207 ; D. Mantovani, « L’occupazione dell’ager publicus e le sue regole prima del 367 A.C. », Athenaeum, 85, 1997, p. 575-598 et E. Hermon, Habiter et partager la terre avant les Gracques, Rome : EFR, 2001, p. 105-110, p. 125 et p. 286.

[8] Voir sur les possibles emprunts juridiques à une époque plus tardive, J. Dubouloz, La Propriété immobilière à Rome et en Italie (Ier-Ve siècles). Organisation et transmission des praedia urbana, Rome : EFR, 2011, p. 321-329.

[9] Voir Ch. Appleton, « Trois épisodes de l’histoire ancienne de Rome : les Sabines, Lucrèce, Virginie », RD, 1924, p. 193-271 et p. 592-670 ; P. Noailles, « Le procès de Virginie », REL, 1942, p. 106-138 ; J. C. van Oven, « Le procès de Virginie d’après le récit de Tite-Live », RHD, 18, 1950, p. 159-190 ; G. Franciosi, « Il processo di Virginia », Labeo, 7, 1961, p. 20-35 ; C. S. Tomulescu, « Sur la maxime Vindiciae secundum libertatem », Iura, 22, 1971, p. 141-153 ; J. Cels-Saint-Hilaire, « Virginie, la clientèle et la liberté plébéienne : le sens d’un procès », REA, 93, 1-2, 1991, p. 27-37 et H. Kalnin-Maggiori, « Une uirgo offerte aux dieux et à la libertas », Euphrosyne, 34, 2006, p. 289-302.

[10] G. Rotondi, LPPR, p. 206 et D. Flach, Die Gesetze der frühen römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 208-210, n° 27.