L. Genucius

RE, VII 1, 1207, n° 5 (auteur : Fr. Münzer) ; BNP, 5, 766, n° 3 (auteur : K.-L. Elvers) et G. Niccolini, FTP, p. 66-68.

Sources

App., BC, 1, 54 ; Liv., 7, 42, 1-2 ; Tac., ann., 6, 16 ; Vir. ill., 29, 3 et Zonar., 7, 25.

Notice

L. Genucius fut tribun de la plèbe en 342. C’est un personnage méconnu mais associé à une série de mesures d’importance. Les faits se déroulèrent après une sédition dans la garnison romaine de Capoue, apaisée par la nomination de M. Valerius Corvus comme dictateur et par le vote d’une lex sacrata. C’est juste après cet événement qu’une série de plébiscites aurait été votée : le premier visait à interdire le prêt à intérêt ; un autre empêchait l’exercice d’une même magistrature à moins de dix ans d’intervalle, interdisait le cumul de deux magistratures et autorisait l’élection de deux consuls plébéiens à la fois (121 à 124)[1]. Seul le premier d’entre eux peut être attribué avec certitude à L. Genucius. Comme, par ailleurs, une interdiction globale du prêt à intérêt était impossible, il est probable que Tite-Live entend en fait désigner ici sa réglementation, ce qui entrerait en continuité avec les mesures connues pour les années précédentes[2]. C’est d’autant plus vraisemblable que l’endettement semble bien avoir été un problème endémique du IVsiècle[3]. À propos des autres mesures, nous savons simplement qu’il était tribun lorsqu’elles furent votées.

Les mesures suivantes semblent a priori problématiques, mais J.-Cl. Richard a montré comment, en fait, c’est plus leur formulation simplifiée et déformée par Tite-Live que le fond qui dérange. Dans l’ensemble, ils sont donc parfaitement valables[4]. Le dernier plébiscite est le plus intéressant et le plus complexe car il amène à poser la question de la portée réelle des soi-disants « lois » licinio-sextiennes au travers de l’étude des collèges consulaires après 366. Or, depuis Münzer au moins, les historiens se sont aperçus qu’après cette date, on trouvait encore des collèges consulaires exclusivement patriciens, en particulier à partir de 360 et jusque précisément vers la date de 342 : soit une forme de réaction patricienne qui aurait duré dix-huit ans. Différentes théories ont été avancées pour l’expliquer et il semble à peu près évident au final que le dernier des plébiscites licinio-sextiens n’avait eu en fait qu’une portée limitée[5]. En outre, il ne s’agissait pas d’une loi, mais bien d’un plébiscite accepté par le reste de la cité. En réalité donc, le Sénat se contenta d’avaliser les candidatures plébéiennes au consulat car il n’avait plus le choix, mais aucune loi comitiale n’obligea formellement à ce qu’un des deux consuls fût pris dans la plèbe. D’où des collèges patriciens encore après 367. La loi de 342 visait sans aucun doute à affirmer et à assurer celle de 367 et non à permettre à deux plébéiens de devenir consuls car, sinon, on comprendrait mal que les plébéiens aient attendu 172 pour se saisir de cette opportunité[6].

L. Genucius fut-il l’auteur de ces plébiscites et notamment de celui sur le consulat ? Il est difficile de l’affirmer mais plusieurs éléments vont en ce sens. D’abord, il appartient à la famille des Genucii dont certains membres étaient parvenus au consulat à la faveur du compromis licinio-sextien de 367 : L. Genucius en 365 et 362 et Cn. Genucius en 363[7]. L’année 342 correspond en outre au retour sur le devant de la scène d’un « parti » patricien qui s’était effacé lors de la réaction patricienne postérieure à 360[8]. L’action du tribun L. Genucius se situe dans cette perspective et il est en cela un parfait représentant de cette noblesse nouvelle, liée à une partie du patriciat et qui entendait bien ne pas se voir privée de l’accès au pouvoir. C’est donc un tribun parfaitement historique et dont on peut tout à fait supposer qu’il fut bien à l’origine de cet ensemble de plébiscites qui formaient un nouveau projet cohérent visant à réaffirmer et à prolonger les plébiscites licinio-sextiens.

Notes

[1] Pour un rapide résumé de l’historiographie sur cette question et sur les mesures votées, voir G. Rotondi, LPPR, p. 224-226 ; J.-Cl. Richard, « Sur le plébiscite ut liceret consules ambos plebeios creari », Historia, 28, 1, 1979, p. 65-66 ; G. Tilli, « La c.d. lex Valeria militaris del 342 a.C. », dans F. Serrao (éd.), Legge e società nella repubblica romana, Naples : Jovene, 1, 1981, p. 385-397 ; G. Poma, « Il plebiscito Genucio ne fenerare liceret (Liv., 7, 42, 1), RSA, 19, 1989, p. 67-91 ; P. Zamorani, « Il plebiscito ne quis eundem magistratum intra decem annos caperet e il divieto di reficere consulem », AUFG, 4, 1990, p. 1-50 et M. Elster, Die Gesetze der mittleren römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2003, p. 34-43, n° 18, 19 et 20.

[2] Voir les notices de M. Duilius et L. Menenius et le volume publié.

[3] J.-Cl. Richard, « Sur le plébiscite ut liceret consules ambos plebeios creari », Historia, 28, 1, 1979, p. 67.

[4] J. Heurgon, Recherches sur l’histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine des origines à la deuxième guerre punique, Rome : EFR, 1942, p. 246-247 et J.-Cl. Richard, « Sur le plébiscite ut liceret consules ambos plebeios creari », Historia, 28, 1, 1979, p. 68-69.

[5] Sur cette question, on consultera Fr. Münzer, Römische Adelsparteien und Adelsfamilien, Stuttgart : J.-B. Metzler, 1920 (utilisé dans la traduction anglaise de Th. Ridley parue sous le titre Roman aristocratic Parties and Families, Baltimore : JHUP, 1999, p. 25-37) ; J. Heurgon, Recherches sur l’histoire, la religion et la civilisation de Capoue préromaine des origines à la deuxième guerre punique, Rome : EFR, 1942, p. 246-250 ; J. Pinsent, Military Tribunes and Plebeian Consuls. The Fasti from 444 V to 342 V, Wiesbaden : Franz Steiner Verlag, 1975, p. 13-19 ; E. St. Staveley, « The Conduct of Elections during an Interregnum », Historia, 3, 1954, et plus particulièrement l’addendum consacré aux supposées violations des lois licinio-sextiennes p. 208-211 ; J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale jusqu’aux guerres puniques, Paris : PUF, 19933 ; et J.-Cl. Richard, « Sur le plébiscite ut liceret consules ambos plebeios creari », Historia, 28, 1, 1979, p. 70. Cf. aussi notre discussion du problème dans le volume publié.

[6] T. J. Cornell, The Beginnings of Rome, Italy and Rome from the Bronze Age to the Punic Wars (c. 1000-264 BC), Londres et New York : Routledge,1995, p. 337-338.

[7] Fr. Münzer, Römische Adelsparteien und Adelsfamilien, Stuttgart : J.-B. Metzler, 1920 (utilisé dans la traduction anglaise de Th. Ridley parue sous le titre Roman aristocratic Parties and Families, Baltimore : JHUP, 1999, p. 15-25) et T. R. S. Broughton, MRR, 1, p. 115-117. Par ailleurs, on notera l’hypothèse — peu crédible — d’E. Ferenczy, From the Patrician state to the Patricio-plebeian State, Budapest et Amsterdam : Akadémiai kiadó et A.M. Hakkert, 1976, p. 50, qui propose d’identifier ce tribun au consul de 365 et 362. Cf. St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 2, Books VII-VIII, Oxford : Clarendon Press, 1998, p. 387.

[8] Cf. le volume publié.