C. Terentilius Harsa

RE, V A 1, 591-592 (auteur : Fr. Münzer) et G. Niccolini, FTP, p. 18-19.

Sources

D.H., 9, 69, 1 (sur la rogatio Titia agraria) ; 10, 1, 2-5 et Liv., 3, 9.

Notice

C. Terentilius Harsa fut tribun de la plèbe en 462. Son nom complet est donné par Tite-Live. Chez ce dernier, la tradition manuscrite connaît quelques variantes mais sans conséquences. En revanche, Denys d’Halicarnasse le nomme uniquement Γάιος Τερέντιος et, là, il existe une variante en τεργέντιος (Chisianus 58 et Urbinas 105). Toutefois, l’onomastique et la tradition livienne poussent plutôt à suivre Terentilius Harsa. Ce nom, visiblement dérivé de la forme Terentius (la seule retenue par Denys), n’en demeure pas moins très rare. Pour autant, son authenticité ne fait aucun doute et est attestée par l’épigraphie : on le trouve sur deux inscriptions tardives de la ville de Rome et sur une plus ancienne qui pourrait laisser penser que la famille était originaire de Préneste. Cela suggère qu’il ne faut pas suivre la correction de Denys d’Halicarnasse[1]. En outre, son cognomen n’est pas étudié par Kajanto. Il connaît dans la tradition manuscrite de Tite-Live quelques variantes, mais purement orthographiques (Harsa, hrasa ou arsa).

En tant que tribun de la plèbe, C. Terentilius Harsa eut pour collègue Sex. Titius, l’auteur d’un projet de plébiscite agraire (32). Lui est cependant surtout connu pour une proposition de plébiscite audacieuse (33). Tite-Live la présente comme visant à instituer une commission de cinq membres chargée de réglementer le pouvoir consulaire. Une telle idée a semblé longtemps difficilement acceptable car le pouvoir consulaire ne paraissait pas pouvoir faire l’objet de telles restrictions. C’était notamment l’avis de Mommsen pour qui il importe de replacer l’action de Terentilius Harsa dans la lutte qui s’engagea au cours de ces années pour obtenir une mise par écrit d’un premier code de lois. Cette action, qui aboutit avec la création du décemvirat législatif, trouve ici ses prodromes et il faudrait donc plutôt comprendre ce plébiscite comme instituant une commission de cinq membres à pouvoirs consulaires chargée de la mise par écrit des lois. Il importerait alors de transformer ainsi la formule de Tite-Live : il ne s’agit aucunement de quinque uiri legibus de imperio consulari scribendis, mais de quinque uiri consulari imperio de legibus scribendis[2]. Durant longtemps, du fait du poids de l’auctoritas mommsénienne, cette idée s’imposa et seule l’opinion de Lange divergea sur ce point. Ce dernier pensait qu’il fallait maintenir la formule de Tite-Live[3]. En effet, comme Tite-Live réitère en plusieurs endroit cette interprétation de ce plébiscite, on doit supposer qu’il n’y pas lieu ici de penser à une transmission fautive du texte mais soit à une erreur dans les sources même de l’historien — si l’on suit l’opinion de Mommsen — soit à la transmission d’une information réelle. C’était là l’idée de Lange et elle fut reprise depuis peu et approfondie par M. Humbert dans son analyse des lois des XII Tables dans une optique qui nous semble la plus juste. Il s’agissait bien d’une loi visant à réglementer l’imperium consulaire[4]. Le Sénat et les consuls s’opposèrent à ce projet et c’est l’ancien consul Q. Fabius Vibulanus qui en fut l’adversaire le plus farouche. Il arriva d’ailleurs à circonvenir d’autres tribuns de la plèbe et le débat sur la loi fut ajourné[5]. Toutefois, l’année suivante, en 461, les tribuns de la plèbe reprirent à leur compte le projet de Terentilius Harsa. Ce projet de plébiscite, qui ne fut jamais accepté, demeura cependant la toile de fond des luttes politiques à Rome depuis ce moment jusqu’à la période du décemvirat et servit ensuite de base au compromis qui s’élabora dans l’envoi de la commission en Grèce et par la mise en place du décemvirat législatif. Sans avoir été accepté par le Sénat, il poussa tout de même à de profondes modifications institutionnelles.

Les différents éléments dont nous disposons permettent de penser qu’il n’y a guère de raisons de douter de l’authenticité de ce tribun ni, surtout, de son plébiscite. Si ce dernier ne fut jamais appliqué tel quel, il trouva son aboutissement dans l’instauration du décemvirat législatif et fut d’une portée considérable pour l’évolution du système politique romain.

Notes

[1] W. Schulze, Zur Geschichte lateinischer Eigennamen, Zürich et Hildesheim : Weidmannsche Buchhandlung, 1904, p. 357 et p. 460. Si Terentilius Harsa paraît isolé, ce nom est cependant attesté par l’épigraphie et ce depuis une période assez ancienne, et encore sous l’empire : cf. CIL VI, 27151 (= SupplIt Imagines, CIL VI, 3, Collezioni Fiorentine, 3665) et 36411 (= SupplIt Imagines, CIL VI, 2, Musei Vaticani, 1, Antiquarium comunale del Celio, 3400, Rome).

[2] Th. Mommsen, Le Droit public romain, traduit de l’allemand par P. F. Girard, Paris : E. Thorin, 1889-1896 (réimprimé par de Boccard à Paris en 1984-1985), 4, p. 426-427 et n. 1. L’avis de Mommsen est suivi en particulier par R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy : Books 1-5, Oxford : Clarendon Press, 1984, p. 412 qui donne les références aux autres passages de Tite-Live : 3, 9, 2 ; 3, 24, 9 et 3, 31, 7. On consultera aussi G. Rotondi, LPPR, p. 198-199 et D. Flach, Die Gesetze der frühen römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 93-95 n° 21.

[3] L. Lange, Römische Alterthümer, 1, Einleitung und der Staatsalterthümer erster Theil, Berlin : Weidmann, 18763, p. 617 : « Die Formulierung dieser Rogation beruht gewiß nicht auf einem Mißverständnisse des Livius, wie Mommsen meint, sondern beweist vielmehr, daß die verfassungsändernde Gesetzgebung im engsten Verhältnisse zur lex curiata de imperio steht ».

[4] M. Humbert, « La codificazione decemvirale: tentativo d’interpretazione », dans M. Humbert (éd.), Le Dodici Tavole. Dai Decemviri agli Umanisti, Pavie : IUSS Press, 2005, p. 11-15 avec la bibliographie.

[5] Comme le rappelle judicieusement R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy : Books 1-5, Oxford : Clarendon Press, 1984, p. 411-412, à cette époque encore, les plébiscites devaient, pour avoir force de loi pour tout le peuple être confirmés par une loi comitiale, ce qui explique l’opposition des sénateurs et le rôle joué par Fabius.