C. Licinius C. f. P. n. Stolo

RE, XIII 1, 464-469, n° 161 (auteur : Fr. Münzer) ; BNP, 7, 534-535, n° I 43 (auteur : Chr. Müller) et G. Niccolini, FTP, p. 56-61.

Sources

Ampel., 25, 4 ; App., BC, 1, 8-9 ; App., BC, 1, 18 ; Cassiod., Chron. (AUC 390) ; Cassiod., Chron. (AUC 393) ; Chronogr. a. 354 (AUC 393) ; Chr. Pasc. (AUC 393) ; Colum., 1, 3, 10-12 ; D.S., 15, 75, 1 (qui rapporte la sédition à Rome sans donner de noms) ; D.C., 7, frgt 29, 1-6 Boissevain ; D.H., 14, 12 (= 14, N Pittia) ; Fab. Pict., frgt 23 Chassignet (= frgt. 6 Lat. P1 et 2 = frgt 33 J = frgt 25F1, apud Gell., 5, 4, 1-5) ; Fast. Hyd. (AUC 393) ; Flor., epit., 1, 17, 4 (= 1, 26) ; Gell., 5, 4, 3 ; 6, 3, 37 ; 6, 3, 40 ; 17, 21, 27 et 20, 1, 23 ; Liv., 6, 34, 5-11 ; 6, 35 ; 6, 36, 3 ; 6, 36, 7-12 ; 6, 37 ; 6, 38, 1-9 ; 6, 39 ; 6, 40, 6-11 ; 6, 40, 17-18 ; 6, 41, 2-3 ; 6, 41, 10-12 ; 6, 42, 1-3 ; 6, 42, 9-14 ; 7, 2, 1-2 et 10, 8, 7-8 ; Paris, 8, 6, 3 ; Plin., nat., 18, 17 ; Plut., Cam., 39 ; Cam., 42 et TG, 8, 1-3 ; Pompon., 26 (= D., 1, 2, 2, 26) ; Schol. Cic. Ambros., p. 275 Stangl ; Val. Max., 8, 6, 3 ; Varro, rust., 1, 2, 9 ; Vell., 2, 6, 3 ; Vir. ill., 20, 1-4 et Zonar., 7, 24.

Notice

C. Licinius Stolo fut tribun de la plèbe de 377 à 367 en compagnie de L. Sextius Sextinus Lateranus. L’action de ces deux personnages se déroula lorsque le conflit des ordres atteignit son ἀκμή avant de provisoirement se dénouer. Sur son nom, la tradition paraît assez unanime et adopte Licinius Stolo. Seuls Florus et L. Ampelius donnent une fois le nom Sulpicius Stolo au lieu de Licinius Stolo mais cette confusion peut aisément s’expliquer. En effet, C. Licinius Stolo fut marié à une fille du patricien M. Fabius Ambustus. Or, une autre fille du même Fabius Ambustus avait épousé un Servius Sulpicius[1]. La confusion s’est faite entre les noms des deux gendres d’Ambustus. Par ailleurs, C. Licinius est parfois confondu avec C. Licinius Calvus, maître de cavalerie en 368 mais ces personnages doivent être différenciés[2]. Son cognomen, enfin, assez étrange, renvoie aux plantes et donc, peut-être, à la loi agraire à laquelle il est associé[3].

Ces deux tribuns sont liés à quatre plébiscites fondamentaux souvent appelés à tort lois licinio-sextiennes (98 à 101) alors que ce furent des plébiscites au sujet desquels le patriciat dut céder. Il ne s’agissait pas de lois comitiales présentées au peuple[4]. L’intervention de Licinius et Sextius se fit à un moment où nos sources mettent en avant une aggravation de la situation économique de la plèbe romaine. Des nombreux auteurs qui les mentionnent, c’est Tite-Live le plus complet, sauf pour ce qui concerne les dispositions exactes des plébiscites. Il donne comme point de départ aux luttes menées par ces deux tribuns une simple anecdote. Comme nous l’avons dit, C. Licinius Stolo était marié à la fille du patricien M. Fabius Ambustus, homme respecté à la fois des patriciens et de la plèbe. Cette fille jalousait sa sœur, mariée à quelqu’un qui, bien que pas plus talentueux que son mari, était patricien et avait droit aux honneurs du consulat. Cette jalousie attira l’attention d’Ambustus sur cette injustice, et ce dernier décida qu’il était temps d’y remédier. Il s’attela à la tâche en compagnie des deux tribuns. Cette présentation romancée est plus importante par ce qu’elle révèle que par ce qu’elle dit. Elle montre en effet qu’une frange de la population plébéienne avait atteint un niveau de développement qui la plaçait plus près des patriciens que des plébéiens mais qu’elle était toujours poursuivie par une forme d’indignité juridique. C’est l’émergence progressive de la nobilitas qui ressort ici tandis que le mariage de Stolo est l’indice de ce que furent les stratégies d’ascension sociale plébéiennes, stratégies parmi lesquelles le mariage tint à n’en pas douter un grand rôle puisqu’il fut déjà au cœur de controverses en 445[5]. Ce tribun est donc d’autant plus important qu’il fournit des éléments tangibles permettant d’appréhender les phénomènes de mobilité sociale dans la Rome alto-républicaine[6].

La première phase de leur action consista à se faire élire tribuns de la plèbe pour la première fois en 377. Ils proposèrent alors une série de plébiscites sur les dettes, sur les questions agraires et sur l’accession des plébéiens au consulat. Il semblerait donc que le sens général de leur programme législatif fût déjà fixé. Affolés, les patriciens eurent recours à la division du collège tribunitien pour enterrer ces propositions. En réaction, les deux tribuns empêchèrent la tenue des comices pour l’élection de tous les magistrats sauf les tribuns. Ils gênèrent aussi le recrutement de l’armée. Pointe ici un très sérieux problème de chronologie[7]. En effet, s’ouvrit une période sans magistrature qui dura cinq ans selon Tite-Live ; quatre ans selon Zonaras, Cassiodore et les Fasti Hydatini ; et un an seulement selon Diodore de Sicile. Si l’existence d’une telle période sans magistrats est certaine, sa durée est en revanche problématique et il ne paraît pas possible de suivre Tite-Live sur ce point. La tradition suivie par Diodore est sans doute plus proche de la réalité historique. Par ailleurs, face à cette situation, le beau-père de Stolo se mit à soutenir ouvertement le projet de son gendre. Ce blocage est censé avoir pris fin à la faveur d’une guerre contre Vélitrae.

Une deuxième phase de leur action fut alors le projet de remplacement des duumuiris sacris faciundis par des décemvirs pris pour moitié dans la plèbe. En réaction, les patriciens firent nommer M. Furius Camillus dictateur. La situation demeura sans solution et Camille démissionna sans avoir pu briser la volonté des deux tribuns. En 368, réélus pour la neuvième fois si l’on suit le comput livien, ils exigèrent le vote des premiers plébiscites qu’ils avaient rédigés. C’est l’occasion pour Tite-Live de placer un discours très sévère d’Ap. Claudius contre les deux tribuns. Après une courte guerre contre les Gaulois, la situation s’envenima suffisamment pour que les plébiscites fussent votés. Les patriciens menacèrent alors de ne pas les valider mais Camille leur fit entendre raison. Il s’agissait de quatre plébiscites différents auxquels on a donné le nom de lois licinio-sextiennes :

  • un plébiscite permettait l’accès des anciens titulaires de magistratures plébéiennes au consulat[8] ;
  • un plébiscite agraire limitait la possession de l’ager publicus à 500 jugères[9] ;
  • un plébiscite portait sur les dettes[10] ;
  • un plébiscite créait les décemvirs sacris faciundis[11].

Grâce à cela, le collègue de C. Licinius fut élu consul. Toutefois, comme il ne s’agissait pas d’une loi, mais d’un simple plébiscite, ce gain n’était pas assuré et, de fait, il est bien connu que l’on trouve encore des collèges consulaires patriciens après 367. Cela tient à une forme de réaction patricienne face à cette avancée politique. L’action de ces deux tribuns n’en fut pas moins déterminante pour la fin du conflit des ordres.

Quelques années plus tard, C. Licinius fut condamné pour avoir enfreint les termes de sa propre loi agraire puisqu’il aurait possédé plus de mille jugères de terres publiques en se servant de son fils comme prête-nom pour déguiser la fraude. Enfin, il obtint lui aussi le consulat, peu de temps après, même s’il existe une incertitude sur la date. Tite-Live donne celle de 364 tandis que les fastes capitolins donnent celle de 361[12]. Notons enfin que c’est souvent à lui seul que sont attribuées ces plébiscites alors que c’est son collègue qui obtint l’honneur d’être le premier consul plébéien. Cela tient sans doute à l’image très puissante des Licinii dans l’esprit des premiers annalistes de la Rome républicaine qui les conduisit à faire de ce Licinius la figure principale de ce duo réformateur[13].

Notes

[1] Sur ce personnage, tribun consulaire en 377, voir T. R. S. Broughton, MRR, 1, p. 108.

[2] T. R. S. Broughton, MRR, 1, p. 112 et P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris : Les Belles Lettres, 1975, p. 191, n. 2.

[3] I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki : Societas scientiarum fennica, 1965, p. 89 et p. 337 et Varro, rust., 1, 2, 9.

[4] Pour une présentation générale de ces plébiscites, des sources et des problèmes soulevés, on se reportera à G. Rotondi, LPPR, p. 216-220 et, pour la suite, à K. von Fritz, « The Reorganisation of the Roman Government in 366 B.C. and the so-called Licinio-Sextian Laws », Historia, 1, 1950, p. 3-44 ; E. Hermon, « Les lois Licinia-Sextia : un nouvel examen », dans Hommages à Ed. Frézouls, Ktèma, 19, 1994, p. 119-142 ; D. Flach, Die Gesetze der frühen römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 280-297 n° 62 ; T. J. Cornell, The Beginnings of Rome, Italy and Rome from the Bronze Age to the Punic Wars (c. 1000-264 BC), Londres et New York : Routledge,1995, p. 333-340 et St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 1, Introduction and Book VI, Oxford : Clarendon Press, 1997, p. 645-724.

[5] Voir la notice de C. Canuleius.

[6] St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 1, Introduction and Book VI, Oxford : Clarendon Press, 1997, p. 645-652 qui résume la discussion sur cet épisode et qui rappelle fort justement que, derrière l’histoire des deux sœurs, on retrouve les liens unissant Licinius et Fabius Ambustus qui sont, eux, tout à fait historiques.

[7] Voir là-dessus J. Bayet, Appendice, V, dans son édition du livre VI de l’Histoire romaine de Tite-Live et St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 1, Introduction and Book VI, Oxford : Clarendon Press, 1997, p. 645-649.

[8] Au sein d’une abondante bibliographie, on se reportera à G. Rotondi, LPPR, p. 218-220 ; K. von Fritz, « The Reorganisation of the Roman Government in 366 B.C. and the so-called Licinio-Sextian Laws », Historia, 1, 1950, p. 3-44 ; U. von Lübtow, Das römische Volk, sein Staat und sein Recht, Francfort sur le Main : Vittorio Klostermann, 1955, p. 225-231 ; J. Pinsent, Military Tribunes and Plebeian Consuls. The Fasti from 444 V to 342 V, Wiesbaden : Franz Steiner Verlag, 1975, p. 13-19 et p. 62-69 ; J.-Cl. Richard, « Sur le plébiscite ut liceret consules ambos plebeios creari », Historia, 28, 1, 1979, p. 65-75 ; J. Linderski, « The Auspices and the Struggle of the Orders », dans W. Eder (éd.), Staat und Staatlichkeit in der frühen römischen Republik. Akten eines Symposiums 12. – 15. Juli 1988 Freie Universität Berlin, Stuttgart : Franz Steiner Verlag, 1990, p. 34-48 ; D. Flach, Die Gesetze der frühen römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 294-297 n° 62d ; St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 1, Introduction and Book VI, Oxford : Clarendon Press, 1997, p. 652-654. Cf. également le volume publié pour notre discussion de l’hypothèse de T. J. Cornell et notre interprétation de cette mesure.

[9] C’est celui des quatre plébiscites qui a suscité la plus imposante bibliographie. Mentionnons parmi les travaux les plus importants : B. Niese, « Das sogenannte licinisch-sextische Ackergesetz », Hermes, 23, 1888, p. 410-423 ; G. Rotondi, LPPR, p. 217-218 ; G. Tibiletti, « Il possesso dell’ager publicus e le norme de modo agrorum sino ai Gracchi », Athenaeum, 26, 1948, p. 173-236 et 27, 1949, p. 3-42 ; Id., « Ricerche di storia agraria romana », Athenaeum, 28, 1950, p. 183-266 (= Id., Studi di storia agraria romana, Trente : Università degli studi di Trento, 2007) ; A. J. Toynbee, Hannibal’s Legacy. The Hannibalic War’s Effects on Roman Life, 2, Rome and her Neighbours after Hannibal’s Exit, Londres : OUP, 1965, p. 554-561 ; C. Sterckx, « Appien, Plutarque et les premiers règlements de modo agrorum », RIDA, 16, 1969, p. 309-335 ; Fr. Dal Cason, « La tradizione annalistica sulle più antiche leggi agrarie: riflessioni e proposte », Athenaeum, 63, 1985, p. 174-184 ; K. Bringmann, « Das Licinisch-Sextische Ackergesetz und die gracchische Agrarreform », dans J. Bleicken (éd.), Symposion für Alfred Heuß, Kallmünz : M. Lassleben, 1986, p. 51-66 ; Bj. Forsén, Lex Licinia Sextia de modo agrorum: Fiction or Reality, Helsinki : the Finnish Society of Sciences and Letters, 1991 ; D. Flach, Die Gesetze der frühen römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 285-294 n° 62c ; D. J. Gargola, Lands, Laws, and Gods. Magistrates and Ceremony in the Regulation of Public Lands in Republican Rome, Chapel Hill et Londres : UNCP, 1995, p. 136-146 ; St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 1, Introduction and Book VI, Oxford : Clarendon Press, 1997, p. 654-659 ; A. Manzo, La lex Licinia Sextia de modo agrorum. Lotte e leggi agrarie tra il V e il IV secolo a.C., Naples : Jovene, 2001 ; E. Hermon, Habiter et partager les terres avant les Gracques, Rome : EFR, 2001, p. 143-171 ; D. W. Rathbone, « The Control and Exploitation of ager publicus in Italy under the Roman Republic », dans J.-J. Aubert (dir.), Tâches publiques et entreprise privée dans le monde romain. Actes du diplôme d’études avancées, Université de Neuchâtel et de Lausanne, 2000-2002, Genève : Droz, 2003, p. 135-178 ; L. Capogrossi-Colognesi, « Le radici storiche della lex Licinia de modo agrorum », dans Fides humanitas ius: Studii in onore di Luigi Labruna, 2, Naples : Editoriale scientifica, 2007, p. 677-695 ; J. Rich, « Lex Licinia, Lex Sempronia: B. G. Niebuhr and the Limitation of Landholding in the Roman Republic », dans L. de Ligt et S. Northwood, People, Land, and Politics. Demographic Developments and the Transformation of Roman Italy (300 BC-AD 14), Leyde et Boston : Brill, 2008, p. 519-572 et M. Balbo, « La lex Licinia de modo agrorum: riconsiderazione di un modello storiografico », RFIC, 138, 2010, p. 265-311.

[10] Voir G. Rotondi, LPPR, p. 217 ; K.-J. Hölkeskamp, Die Entstehung der Nobilität. Studien zur sozialen und politischen Geschichte der Römischen Republik im 4. Jhdt. v. Chr., Stuttgart : Fr. Steiner Verlag, 1987, p. 96-109 ; D. Flach, Die Gesetze der frühen römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 283-285 n° 62b et St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 1, Introduction and Book VI, Oxford : Clarendon Press, 1997, p. 659-661.

[11] Voir G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer, Munich: C. H. Beck, 2e édition, 1912, p. 534-543 ; G. Rotondi, LPPR, p. 220 ; J. Gagé, Apollon romain. Essai sur le culte d’Apollon et le développement du « ritus Graecus » à Rome des origines à Auguste, Rome : EFR, 1955, p. 146-154 et p. 695-697 ; K. Latte, Römische Religionscheschichte, Munich: C. H. Beck, 1960, p. 397-398; D. Flach, Die Gesetze der frühen römischen Republik. Text und Kommentar, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 282-283 n° 62a et St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 1, Introduction and Book VI, Oxford : Clarendon Press, 1997, p. 652.

[12] CIL, I2, p. 126-127 et InscrIt, XIII, 1, p. 32-35, p. 104-105 et p. 400-401.

[13] Cette vision se retrouve chez certains historiens modernes, cf. par exemple B. G. Niebuhr, Histoire romaine, traduit de l’allemand sur la 3e édition par P.-A. de Golbéry, Bruxelles : Société belge de librairie, 1842, 3, p. 3-4 et p. 40.