C. Icilius Ruga (= C. Viscellius ? Ruga)

Pas d’article dans la RE, se reporter cependant à l’article sur Sp. Icilius, dans RE, IX 1, 854-855, n° 5 (auteur : Fr. Münzer) ; pas d’article dans la BNP et G. Niccolini, FTP, p. 1-6.

Sources

Calp. hist., frgt 25 Chassignet (= frgt 23 P1 et 2 = frgt 30 F = frgt 24 B, apud Liv., 2, 58, 1 ; il renvoie au collège de 470) ; D.S., 11, 68, 8 (sur le collège de 470) ; D.H., 6, 88, 4 à 6, 89, 2 ; 6, 96, 2 ; 7, 14, 2 (sur le tribun de 492) ; 7, 17, 2 (sur le tribun de 492) ; 7, 26, 3 ; 7, 27, 2 ; 7, 35, 3 ; 9, 1, 2 à 9, 2, 5 (sur le tribun de 481) et 11, 28, 2 (sur son descendant éventuel) ; Liv., 2, 43, 3 (sur le tribun de 481) et 2, 58, 1-2.

Notice

Ce personnage fort mystérieux aurait été le cinquième membre du premier collège tribunitien élu en 493. Son cas est des plus difficiles car son nom est mal assuré et parce que plusieurs personnes à l’onomastique semblable coexistent au même moment. Notons au passage que son cognomen est également surprenant. Son origine est incertaine (un dérivé du latin rex ?) mais on le retrouve chez deux autres personnages d’époque républicaine : Sp. Carvilius Maximus Ruga, consul en 234 et un Rubrius Ruga ayant vécu à l’époque de Cicéron[1]. Les cognomina étant encore rares au Ve siècle, cela fait d’emblée planer un doute sur l’authenticité de ce tribun.

La source principale dont nous disposions à son sujet est Denys d’Halicarnasse. Selon lui, en effet, dans le premier collège de tribuns, on trouvait un Γάιον Οὐισέλλιον ῾Ρούγαν. Le même personnage réapparaît ensuite en 491 en tant qu’édile de la plèbe en même temps que T. Iunius Brutus. Toutefois, on ne le retrouve mentionné nulle part ailleurs. Plus surprenant, le même Denys d’Halicarnasse, au moment de l’affaire de Virginie — en 449 — présente le fiancé de cette dernière comme un dénommé Lucius, descendant d’un Icilius qui aurait participé à la création du tribunat de la plèbe et aurait été un des premiers tribuns élus. Nous nous retrouvons ici face à une contradiction puisque Denys ne mentionne aucun Icilius dans le premier collège de tribuns. En revanche, il évoque bien un Icilius pour les années 494-493, soit juste avant la création du tribunat. Il s’agit de Sp. Icilius (Σπόριος Ἰκίλιος), présenté comme ayant fait partie de la délégation de la plèbe au Sénat menée par Brutus. Le personnage semble donc important mais Denys, quelques lignes plus loin à peine, ne l’inclut pas dans le premier collège tribunitien dont il livre la composition. Par ailleurs, le seul autre Sp. Icilius connu pour cette période fit partie du collège tribunitien de 470. Le problème se complique encore avec l’apparition d’un quatrième personnage, un dénommé Σπόριος Σικίνιος, pour l’année 492. Il est présenté par Denys d’Halicarnasse comme le chef du collège pour cette année et est associé à une loi interdisant d’interrompre un tribun de la plèbe s’adressant au peuple[2]. Ce troisième personnage, totalement inconnu par ailleurs, ajoute donc à la confusion. Une bonne partie du problème repose sur les noms de ces personnes et sur des interprétations divergentes des manuscrits[3].

Pour le Sp. Icilius qui participa à l’ambassade au Sénat, le texte de Jacoby (suivi par Spelman/Cary pour la Loeb) donne une leçon en Σπόριος Ἰκίλιος. Cependant, l’ensemble des manuscrits fournit une forme en σπόριος σικίλιος et la transformation en Icilius est une correction de Friedrich Sylburg suivie depuis.

Pour Gaius Visellius Ruga, plusieurs leçons existent, à la fois pour le nom et pour le surnom, lorsqu’il apparaît au livre VI des Antiquités romaines. Concernant son nom, on trouve soit Ἰουσίλλιον (dans le Chisianus 58), soit Οὐεσιλλίον (dans l’Urbinas 105), soit Οὐισκέλλιον (proposition d’A. Kiessling). Pour le surnom, deux versions différentes sont présentes dans l’Urbinas 105 : ῥειουγκανου τοι ou ῥιουγανον οὗτοι ; ῥιουγανὸν οὗτοι (dans le Chisianus 58) et ῥούγαν qui est une proposition de Sigismundus Gelenius. Jacoby retient ici la forme Γάιον Οὐισκἐλλιον ῾Ροῦγαν. Cependant, d’autres leçons apparaissent lorsque son cas est de nouveau abordé par Denys au livre VII (il est alors édile de la plèbe) : Σουκέλλιος (dans le Chisianus 58 et l’Urbinas 105), Γάιος Οὐισέλλιος (leçon d’A. Kiessling) et Γάιος Ἰκίλιος ῾Ροῦγας (correction d’Æmilius Portus). Lorsqu’il apparaît pour la seconde fois, le tribun de 493 est nommé ainsi par Jacoby : Γάιος Οὐισέλλιος ῾Ροῦγας. L’édition Spelman/Cary suit celle de Jacoby en unifiant ses choix : il opte les deux fois pour Γάιος Οὐισέλλιος ῾Ροῦγας, supprimant donc le κ chez D.H., 6, 89, 2.

Concernant enfin le Sp. Sicinius de 492, la leçon générale est bien en Σικίνιος mais Sylburg proposait de la modifier en Ἰκίλιος.

Sur cette base, plusieurs explications sont possibles et les historiens se sont divisés quant à la leçon à adopter. Jacoby, suivi par Münzer, accepte la leçon en Οὐισκέλλιον et c’est celle qu’il choisit. En revanche, Niccolini, suivant les conclusions de Pais, préfère opter pour la leçon en Ἰκίλιον[4]. Or, ce choix porte à conséquence. Le plus simple est de commencer par le problème du Sp. Sicinius de 492. La proposition de correction de Syllburg paraît bien isolée et semble le fruit d’une volonté excessive de simplifier le problème par identification avec Icilius. Aucun argument ne permettant d’accréditer cette hypothèse, mieux vaut conserver la lecture en Sicinius et dissocier le membre du premier collège et ce tribun.

Restent les autres. Une première hypothèse voudrait qu’il y ait bien trois personnages différents : un Sp. Icilius en 494-493, G. Visellius Ruga en 493 et un autre Sp. Icilius en 470. Cette supposition se heurte selon nous à certaines considérations. On voit mal pourquoi le premier Sp. Icilius, présenté comme si important, se serait retrouvé exclu du premier collège tribunitien au profit d’un inconnu. En effet, les noms choisis par Denys d’Halicarnasse obéissent tous à des logiques. On y retrouve un Brutus, un Sicinius et deux Licinius plus un cinquième personnage. Il s’agit à chaque fois de membres de familles très représentatives pour les tribuns de la plèbe à cette époque. Seul ce Gaius Visellius Ruga fait exception. Comme la dernière famille importante pour les débuts du tribunat, celle des Icilii, n’est pas représentée et qu’il existe une leçon de manuscrit proche d’Icilius, il est tentant d’identifier les deux personnages et tel devait être le cas dans l’esprit de Denys sans quoi on comprendrait mal les précisions qu’il apporte par la suite sur le fiancé de Virginie. Ce dernier argument, décisif pour Pais et Niccolini, pousse ainsi à ne voir qu’un seul Icilius en 494-493. Pourquoi Denys le nomme-t-il alors Visellius ? Si l’étymologie proposée par Pais du nom Icilius à partir du mont Vecilius est juste, peut-être n’y a-t-il là qu’une graphie archaïsante ou le recours à une source utilisant une graphie archaïsante. Une simple erreur de manuscrit est également possible. Quant à l’apparition d’un Sp. Icilius dès 494, elle s’explique par contamination avec le nom du tribun de 470. En réalité, il n’y eu probablement qu’un Icilius en 494 et 493, dont le nom complet nous est inconnu[5].

Doit-on poursuivre l’identification et faire de l’Icilius du premier collège et de celui du collège de 470 la même personne ? Nous ne le pensons pas car Denys d’Halicarnasse ne fait aucune mention du collège de 470. Il se contente d’évoquer un Sp. Icilius pour l’année 481 mais il fait erreur sur le nom[6]. L’Icilius qui apparaît chez Tite-Live et chez Diodore de Sicile dérive donc d’une autre source et est un personnage historiquement plus fiable que ce C. Icilius Ruga qui n’a très certainement pas d’autre signification que celle de compléter ce premier collège de cinq tribuns, et qu’il vaudrait sans doute mieux appeler seulement Icilius[7]. D’après Denys d’Halicarnasse, les tribuns de ce collège auraient poussé le peuple à participer au paiement des funérailles d’Agrippa Menenius mais nous ne savons rien de particulier sur ce tribun.

Notes

[1] I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki : Societas scientiarum fennica, 1965, p. 237.

[2] Voir la notice de Sp. Sicinius.

[3] Voir G. Smets, « Le prétendu Spurius Icilius dans Denys d’Halicarnasse », dans Annuaire de l’institut de philologie et d’histoire orientale et slave de l’Université libre de Bruxelles, VI, p. 265-269 et notre reprise plus détaillée du problème dans Th. Lanfranchi, « Le premier collège tribunicien dans les manuscrits de Denys d’Halicarnasse », RPh, 87/2, 2013, p. 99-120.

[4] G. Niccolini, FTP, p. 2-3 et E. Pais, Ricerche sulla storia e sul diritto pubblico di Roma, Rome : P. Maglione & C. Strini, 3, 1918, p. 100. Pais appuie son choix sur la leçon en Ἰουσίλλιον du Chisianus 58 (qui serait une déformation  d’Ἰκίλιον) et sur les corrections d’Æmilius Portus. Pour cette dernière interprétation, voir Dionysii Alexandri filii Halicarnassei antiquitatum rom. libri XI ab Æmilio porto et post aliorum interpretationes, Latine redditi et notis illustrati, quibus adjunximus H. Glareani chronologi, 1588, p. 218 et p. 68 des annotations.

[5] Voir Th. Lanfranchi, « Le premier collège tribunicien dans les manuscrits de Denys d’Halicarnasse », RPh, 87/2, 2013, p. 99-120 pour une démonstration plus complète.

[6] Il s’agit en fait de Sp. Licinius, voir la notice de ce tribun.

[7] Contra cependant, J.-Cl. Richard, Les Origines de la plèbe romaine : essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Rome : EFR, 1978, p. 568-570, qui estime qu’il faut lui conserver son nom de C. Visellius (ou Viscellius) Ruga et qu’il s’agit d’un des deux tribuns authentiques du premier collège tribunitien.