C. Canuleius

RE, III 2, 1499-1500, n° 2 (auteur : Fr. Münzer) ; BNP, 2, 1060, n° 1 (auteur : M. Meier) et G. Niccolini, FTP, p. 33-34.

Sources

Ampel., 25, 3 ; Cic., rep., 2, 63 ; D.H., 11, 57, 1-3 à 11, 58, 1 ; Flor., epit., 1, 17 (= I, 25) ; Liv., 4, 1, 1-4 ; 4, 1, 6 ; 4, 2, 5-14 ; 4, 3, 1-17 ; 4, 4, 1-12 ; 4, 5, 1 et 4, 6, 5-8.

Notice

C. Canuleius fut tribun de la plèbe en 445. Comme tribun, il est surtout connu pour son opposition à l’une des dernières dispositions des lois des XII Tables, adoptée durant le second décemvirat, et qui aurait interdit les mariages entre patriciens et plébéiens[1]. Il aurait alors été le rapporteur du projet de plébiscite qui visait à rendre de nouveau légal ce type d’unions (58). Il importe cependant de noter que Denys d’Halicarnasse, lorsqu’il évoque ce personnage, ne mentionne pas ce projet de plébiscite mais uniquement la contestation plébéienne pour l’accès aux auspices et au consulat. L’existence même de cette disposition des XII Tables et le fait qu’un plébiscite ait pu abroger une partie de ce texte législatif fondateur pour la cité romaine ne va pas sans poser un certain nombre de questions[2]. S’il est incontestable que C. Canuleius se battit pour un retour à une situation qui était celle d’avant 449, M. Humbert a montré qu’il était cependant nécessaire de réinterpréter la disposition légale ainsi combattue[3]. Cette mesure n’a pu viser à rendre véritablement impossible ce type de mariage. De manière plus simple, elle avait sans doute pour but d’établir de façon nette que le mariage entre patriciens et plébéiens était une mésalliance et qu’elle devait être sanctionnée comme telle par la perte des privilèges politiques et religieux qui fondent le patriciat. Rétablir ainsi l’objet précis de ces luttes permet de comprendre pourquoi Denys ne parle pas du problème du mariage : il se focalise sur le cœur des revendications plébéiennes, à savoir l’accès au patricial pour les enfants d’unions mixtes. Il est également évident que le plébiscite canuléien n’a pu, à lui seul, abroger cette disposition et ce en dépit de l’obstruction mise en place par le tribun pour empêcher le dilectus. Le récit livien doit donc se comprendre ainsi : sous la pression de Canuleius et des tribuns, le Sénat accepta de revenir sur cette disposition et de reconnaître comme patriciens les enfants issus d’unions patricio-plébéiennes. Lui seul avait en effet ce pouvoir avant l’exaezuatio des plébiscites et des lois de 287.

Ce tribun fit aussi partie de ceux qui se battirent pour l’accès des plébéiens au consulat. Il fut probablement des neufs tribuns mentionnés par Tite-Live qui élaborèrent ce projet de plébiscite (59). Les patriciens ne voulaient cependant pas en entendre parler et profitèrent de ce qu’Ardée rompit avec Rome pour décréter une levée de troupes et couper court aux discussions. Canuleius s’y opposa avec vigueur et Tite-Live nous rapporte le discours enflammé qu’il tint à la foule à cette occasion. Pour débloquer la situation sans toucher à la délicate question du recrutement des consuls, un compromis fut trouvé avec la création de tribuns militaires à pouvoirs consulaires pouvant être indifféremment choisis parmi les patriciens ou les plébéiens. Le récit de Tite-Live tend ici à séparer artificiellement ce qui relève de la lutte pour la possibilité du mariage entre patriciens et plébéiens et ce qui relève de l’accès des plébéiens au consulat. Dans les faits, cela ne faisait très certainement qu’un et Denys d’Halicarnasse s’avère ici plus exact dans son appréhension des faits puisque ces revendications étaient intimement liées. Si le récit livien procède de la sorte, c’est dans un but de dramatisation des événements, en particulier au travers du discours de Canuleius. L’historicité de ce tribun et des luttes auxquelles il est associé est à peu près certaine, même s’il convient de corriger le récit de Tite-Live.

Notes

[1] Cette disposition des XII Tables a longtemps été utilisée par les historiens qui cherchaient à démontrer la dualité originelle du patriciat et de la plèbe. Pour une analyse de ces théories et les références bibliographiques, voir J.-Cl. Richard, Les Origines de la plèbe romaine : essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Rome : EFR, 1978, p. 3-75. Sur cette disposition en général, on lira en particulier M. A. Levi, « Roma arcaica e il connubio fra plebei e patrizi », PP, 38, 1983, p. 241-258 ; G. Franciosi, « La plebe senza genti e il problema della rogatio Canuleia », dans G. Franciosi (éd.), Ricerche sulla organizzazione gentilizia romana, 1, Naples : Jovene, 1984, p. 121-179 ; S. Tondo, « Presupposti ed esiti dell’azione del trib. pl. Canuleio », dans Bilancio critico su Roma arcaica fra monarchia e repubblica, Actes du colloque de l’Académie nationale des Lincei (Rome 3-4 juin 1990), Rome : Académie nationale des Lincei, 1993, p. 49-53 ; H. A. Gärtner, « Plebejer wollen Consuln werden: die Darstellung des Titus Livius von den Ständekämpfen im Rom des 5. Jh. v. Chr.: die Rolle des Volkstribunen Gaius Canuleius (Livius, 4, 3-5) », dans E. Olshausen et H. Sonnabend (éd.), Gewalt: Widerstand und Anpassung, Stuttgart : Historisches Institut der Universität Stuttgart, 1994, p. 7-20 ; Id., « The beginnings of Rome in Roman literature », dans Studies in Chinese and Western classical civilizations: essays in honour of Prof. Lin Zhi-chun on his 90th birthday, Changchun : Jilin People’s Publishing House, 1999, p. 299-310 ; M. Humbert, « Le conubium des patriciens et plébéiens : une hypothèse », dans Cl. Bontems (éd.), Nonagesimo anno. Mélanges en hommage à Jean Gaudemet, Paris : PUF, 1999, p. 281-285 avec la bibliographie indiquée en note ; M. D. Panciera, « Livy, conubium and plebeians’ access to the consulship » dans Chr. F. Konrad (éd.), Augusto augurio: rerum humanarum et diuinarum commentationes in honorem Jerzy Liderski, Stuttgart : Steiner, 2004, p. 89-99 et J. Linderski, « Religious Aspects of the Conflict of the Orders: The Case of confarreatio » dans K. A. Raaflaub (éd.), Social Struggles in Archaic Rome. New Perspectives on the Conflict of the Orders, 2e édition revue et augmentée, Malden (Massachusetts) : Blackwell Publishing, 2005, p. 223-238. On se reportera aussi à notre discussion du problème, dans le volume publié.

[2] Ainsi par exemple, J. N. Madvig, L’État romain. Sa constitution et son administration, Paris : Fr. Vieweg, 1, 1882, p. 94-95 réfute l’existence de cette législation décemvirale et pense que la rogatio Canuleia a annulé une disposition qui devait exister « de toute ancienneté ».

[3] M. Humbert, « Le conubium des patriciens et plébéiens : une hypothèse », dans Cl. Bontems (éd.), Nonagesimo anno. Mélanges en hommage à Jean Gaudemet, Paris : PUF, 1999, p. 281-303.