A. Verginius

RE, VIII A 2, 1510-1511, n° 3 (auteur : H. Gundel) et G. Niccolini, FTP, p. 19-24.

Sources

Cic., dom., 86 ; D.H., 10, 2, 1 ; 10, 3 ; 10, 6 à 10, 12, 2-3 ; 10, 13, 1 ; 10, 13, 7 ; 10, 22, 1-2 ; 10, 26, 4-5 ; 10, 28, 2-8 ; 10, 29, 3-5 et 10, 30 ; Liv., 3, 10, 5 ; 3, 11, 9-13 ; 3, 13, 1-10 ; 3, 14, 6 ; 3, 19, 6 ; 3, 21, 3 ; 3, 22, 2 ; 3, 24, 1 à 9 ; 3, 25, 4 ; 3, 29, 6 ; 3, 29, 8 et 3, 30, 1-7 ; Paris, 4, 1, 4 et 4, 4, 7 ; Val. Max., 4, 1, 4 et 4, 4, 7 et Vir. ill., 17, 1.

Notice

A. Verginius fut élu tribun de la plèbe pour la première fois en 461 et le fut ensuite durant cinq années d’affilée. C’est le plus ancien plébéien de ce nom qui nous soit connu. Il apparaît d’abord dans le récit de l’annalistique en assignant en justice, contre l’avis de ses collègues, le jeune Caeso Quinctius au départ simplement parce que, dans son opposition à la loi proposée, il intervint plusieurs fois pour chasser violemment les plébéiens. Le procès se corsa avec le témoignage d’un autre tribun — M. Volscius Fictor — qui accusa Caeso Quinctius de meurtre. Face à cela, Verginius fit mettre le jeune homme en détention provisoire avant qu’il ne soit libéré grâce aux garanties apportées par dix répondants. Caeso Quinctius en profita pour partir en exil. Ce procès fit longtemps débat[1]. Il est évident que la double narration que l’on en trouve tant chez Tite-Live que chez Denys d’Halicarnasse traduit un récit reconstruit et largement fictif dont les mécanismes sont bien démontrés, entre autre, par Ogilvie. Pour autant le fond de l’affaire est plus riche qu’il n’y paraît. W. Kunkel, déjà, se servit de ce procès paradigmatique pour affirmer le caractère à l’origine privé de la répression du meurtre à Rome. Mais il est possible d’aller plus loin à partir d’un détail souvent laissé de côté du récit livien. En effet, lorsque M. Volscius Fictor vint accuser Caeso Quinctius de meurtre, il mit surtout en avant l’impossibilité dans laquelle on l’avait maintenu de pouvoir demander réparation. Il revient à M. Humbert d’avoir soulevé ce point : finalement, plus que le meurtre, ce qui motiva l’action des tribuns, ce fut le déni de justice opposé les années précédentes à M. Volscius Fictor par les consuls en exercice. À un moment où le tribun A. Verginius se battait aussi pour obtenir le vote de la rogatio Terentilia, l’accusation portée par M. Volscius Fictor prenait un sens supplémentaire et inscrit ce procès au sein des luttes qui préludèrent à la mise par écrit des lois. D’ailleurs, dans les lois des XII Tables, la disposition de capite ciuis qui retire aux tribuns la possibilité de faire voter aux tribus la mort d’un citoyen pour les contraindre à la porter devant les centuries, qui créa ainsi une compétence positive au profit des centuries (le monopole de la peine capitale), va dans le sens de cette analyse[2]. Ce procès est donc effectivement reconstruit, mais il l’est parce qu’il est conçu comme une étape de cette lutte, servant à préparer et à justifier la mise par écrit des lois et cette disposition bien particulière des lois des XII Tables. Pour autant, il ne nous semble pas que cela affecte l’authenticité de ce tribun car la tradition conserve ici, en même temps, la trace d’un rôle important joué par les tribuns de la plèbe et par la plèbe dans cette évolution majeure du droit romain.

En outre, parallèlement à ce procès, A. Verginius essaya de faire passer la rogatio Terentilia mais les jeunes patriciens, choqués du sort réservé à Caeso Quinctius, s’y opposèrent avec la dernière vigueur et elle ne put être votée cette année-là. A. Verginius et M. Volscius Fictor furent cependant réélus sans aucun problème en 460, 459, 458 et 457. Nous ne savons pas avec exactitude quelle fut l’action de Verginius et de son collègue durant ces années troublées par un certain nombre de conflits avec les Volsques et les Èques. Ce qui est sûr c’est que Verginius essaya de façon récurrente de faire passer le projet de plébiscite de Terentilius Harsa. Après bien des déboires, une situation propice à la réalisation de son objectif se présenta en 458 mais la reprise de la guerre contre les Èques et contre les Sabins, qui aboutit à la nomination de L. Quinctius Cincinnatus comme dictateur, ajourna encore le vote. Réélu pour la cinquième fois l’année suivante, A. Verginius ne put toujours pas faire passer la rogatio Terentilia. Toutefois, les tribuns profitèrent de la nécessité de nouvelles levées pour amener le Sénat à une concession : contre l’assurance qu’ils ne se présenteraient pas une fois de plus aux élections, le nombre de tribuns fut porté à dix[3]. Il n’est pas dit explicitement que Verginius participa à l’élaboration de ce compromis mais étant réélu depuis cinq ans, cela ne fait guère de doute. Nous ne savons plus rien de lui après cela.

Ce tribun de la plèbe est donc une figure tout à fait importante. En dépit des questions en suspens concernant le procès intenté à Caeso Quinctius, il nous semble difficile de remettre en cause son historicité pour au moins deux raisons soulevées en leur temps par Ogilvie et P.-Ch. Ranouil[4] : le fait qu’il soit mentionné comme ayant été tribun cinq années d’affilée et jouant un rôle essentiel dans le combat pour obtenir le vote de la rogatio Terentilia ; mais également le fait qu’il soit lié à l’augmentation du nombre des tribuns de la plèbe. Ces deux éléments incitent en effet à faire l’hypothèse d’une tradition authentique, remaniée par la suite dans l’intérêt d’une reconstruction plus linéaire des luttes ayant abouti au décemvirat législatif et à la mise par écrit des lois des XII tables.

Notes

[1] Un certain nombre d’auteurs se sont en effet penchés dessus, la plupart du temps pour en contester l’authenticité. On consultera Th. Mommsen, Le Droit pénal romain, traduit de l’allemand par J. Duquesne, Paris : A. Fontemoing, 1907, 1, p. 382-386 ; J.-L. Strachan-Davidson, Problems of the Roman Criminal Law, Oxford : Clarendon Press, 1912, 1, p. 160-161 ; A. Piganiol, « Romains et Latins. La légende des Quinctii », MEFR, 38, 1920, p. 285-316 (= Scripta varia, II, Les origines de Rome et la République, Bruxelles : Latomus, 1973, p. 203-228) ; Chr. H. Brecht, Perduellio. Eine Studie zu ihrer begrifflichen Abgrenzung im römischen Strafrecht bis zum Ausgang der Republik, Munich : C. H. Beck, 1938, p. 284-285 ; D. Daube, compte-rendu du livre de Chr. H. Brecht sur la perduellio, JRS, 31, 1941, p. 180-184 ; A. Steinewenter, « Vadimonium », RE, VII A 2, 2063 ; W. Kunkel, « Ein direktes Zeugnis für den privaten Mordprozess im altrömischen Recht », SZ, 90, 1967, p. 382-385 (= Kleine Schriften. Zum römischen Strafverfahren und zur römischen Verfassungsgeschichte, Weimar : Hermann Böhlaus Nachfolger, 1974, p. 111-116) ; P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris : Les Belles Lettres, 1975, p. 169, n. 3 ; R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy : Books 1-5, Oxford : Clarendon Press, 1984, p. 416-418 et en dernier lieu, M. Humbert, « Les procès criminels tribuniciens du Ve au IVe siècle av. J.-C. », dans R. Feenstra (éd.), Collatio iuris romani. Études dédiées à Hans Ankum à l’occasion de son 65e anniversaire, 2 vol., Amsterdam : J. C. Gieben, 1995, p. 171-176. Cf. le volume publié pour les procès tribunitiens et plus particulièrement p. 463-466.

[2] Sur ces questions, cf. le volume publié et plus particulièrement le chapitre 7.

[3] Il faut cependant noter que le premier collège tribunitien que nous ayons conservé comprenant dix noms date de 449.

[4] P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris : Les Belles Lettres, 1975, p. 169, n. 3 et R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy : Books 1-5, Oxford : Clarendon Press, 1984, p. 419.