Rabuleii

Cette lignée romaine présente un profil atypique et ce d’abord parce que son nom même n’est pas évident à analyser. Il semble étrusque — et Schulze le rattache à l’étrurie — toutefois, comme le relève A. Carnoy, il ne se rattache pas aux radicaux étrusques connus et cette piste doit être abandonnée[1]. Ce nom se singularise aussi par sa signification : que ce soit à partir de l’indo-européen (rabh : « être furieux, violent) ou du latin (rabula : braillard), il est clairement porteur d’un sens très fort[2]. À ce titre, il faut le rapprocher d’un passage du Brutus montrant à quel point le rabula est un orateur mal formé et sans compétences[3]. Si les membres de cette famille disparurent très vite de l’histoire républicaine ce nom, lui, réapparaît dans des inscriptions plus tardives, d’époque impériale, notamment à Rome et à Tibur[4]. Sont attestés pour l’époque républicaine :

  • C. Rabuleius (1), tribun de la plèbe en 486 ;
  • M’. Rabuleius (2), membre du second collège décemviral en 450.

Notons que Denys d’Halicarnasse s’appuyait sur ce décemvir pour faire de cette famille une famille patricienne[5]. Toutefois, ce nom n’apparaît nulle part comme patricien et on sait que, dans la tradition, le second collège décemviral — par ailleurs très largement fictif — accueillit en son sein aussi bien des patriciens que des plébéiens. Il est donc possible que ce Rabuleius ait également été plébéien. En se fondant sur le sens très polémique du nom de ces personnages, Ranouil a proposé d’y voir une construction d’auteurs de la fin de la République et donc de considérer ces Rabuleii comme interpolés[6]. L’argument est possible et il n’est évidemment pas neutre d’accoler le qualificatif rabula à des tribuns de la plèbe. Il ne nous paraît cependant pas décisif. À l’inverse, sa disparition totale, alors que le nom se retrouve sur des inscriptions attestant qu’il s’agit là d’un nom authentique, nous paraît plus significative. Enfin, si on accepte pour authentique ces deux personnages on peut considérer comme tout à fait probable qu’ils furent apparentés même si, encore une fois, de forts doutes pèsent sur l’authenticité du décemvir.

Notes

[1] BNP, 12, 379 ; W. Schulze, Zur Geschichte lateinischer Eigennamen, Zürich et Hildesheim : Weidmannsche Buchhandlung, 1904, p. 91 ; E. Vetter, « Literaturbericht für das Jahr 1924, Etruskisch », Glotta, 15, 1927, p. 225 qui opte aussi pour une origine étrusque (rapli) ; A. Carnoy, « Étymologie des noms romains d’origine étrusque », Ant. Class., 25, 1956, p. 386-407, p. 400 ; P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris : Les Belles Lettres, 1975, p. 105 ; R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy : Books 1-5, Oxford : Clarendon Press, 1984, p. 462 et G. Breyer, Etruskisches Sprachgut im Lateinischen unter Ausschluss des spezifisch onomastischen Bereiches, Louvain : Departement Oriëntalistiek, 1993, p. 271.

[2] A. Carnoy, « Étymologie des noms romains d’origine étrusque », Ant. Class., 25, 1956, p. 400 et A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine : histoire des mots, Paris : Klincksieck, retirage de la 4e édition augmentée d’additions et de corrections nouvelles par J. André, 1994, p. 562.

[3] Cic., Brut., 180 mais aussi Or., 47.

[4] CIL, VI 2375b ; 7149, 25347 ; 25356 ; CIL, XI, 1674 et CIL, XIV, 3830.

[5] D.H., 10, 58, 4. Témoignage repris dans le même sens par P. Willems, Le Sénat de la République romaine, sa composition et ses attributions, Louvain et Paris : Peeters et A. Durand et Pedone-Lauriel,  1, 1878, p. 55 qui se fonde sur le Poetelius décemvir mais pour supposer l’existence d’une branche patricienne de cette famille, à côté de la branche plébéienne.

[6] P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris : Les Belles Lettres, 1975, p. 105-106.