Genucii

Ce très ancien lignage plébéien joua un rôle considérable à Rome. Il est probablement d’origine étrusque et vient sans doute du Latium nord[1]. Une inscription déterminante dans le problème de l’origine des Genucii est celle de C. Genucius Clepsina, consul en 276 et 270. L’inscription a été retrouvée en 1983 par M. Cristofani dans un hypogée de Caere. Elle date du IIIe siècle et se présente sous la forme C. Genucio(s) Clousino(s) prai(fectos). Or, Clousinos signifie littéralement de Clusium et apparaît comme le type même du cognomen d’origine topographique[2]. M. Torelli estime toutefois que, si ce personnage a bien une origine étrusque, cela peut s’expliquer de deux façons : soit parce que sa mère — étrusque — aurait épousé un Genucius romain, soit parce que lui — ou son père — seraient de naissance étrusque et devenus ensuite citoyens romains[3]. Dans ce cadre, pour des raisons d’attestations du Clevsina, la cité d’origine des Genucii pourrait être Tarquinia et non Caere[4]. Une inscription du Ier siècle confirme d’ailleurs peut-être cette origine étrusque[5]. Si l’hypothèse étrusque a donc pour elle de bons arguments, elle n’est toutefois pas certaine car le gentilice des Genucii ne paraît pas étrusque et parce qu’un bol à vernis noir portant le nom de C. Genucius a aussi été retrouvé à Préneste[6]. Cette famille des Genucii est particulièrement bien représentée au sein de la vie politique romaine entre les Ve et IIIe siècles mais s’efface à partir de la deuxième guerre punique. Le cognomen d’Aventinensis porté par certains Genucii pourrait indiquer une résidence romaine privilégiant cette colline, ou, dans l’optique d’un ajout postérieur, un marqueur plébéien supplémentaire sur une famille plébéienne de premier plan[7]. Sont attestés :

  • T. Genucius (8), tribun de la plèbe en 476 ;
  • Cn. Genucius (4), tribun de la plèbe en 473 ;
  • T. Genucius Augurinus (12), peut-être consul en 451 puis décemvir ;
  • M. Genucius Augurinus (11), consul en 445 ;
  • T. Genucius (9), sénateur et frère du précédent ;
  • Cn. Genucius Augurinus (10), tribun militaire à pouvoirs consulaires en 399 et 396 ;
  • L. Genucius Aventinensis (14), consul en 365 et 362 ;
  • Cn. Genucius Aventinensis (13), consul en 363 ;
  • L. Genucius (5), tribun de la plèbe en 342 ;
  • L. Genucius Aventinensis (15), consul en 303 ;
  • C. Genucius (3), augure à partir 300 jusqu’à une date inconnue ;
  • C. Genucius Clepsina (17), consul en 276 et en 270 ;
  • L. Genucius Clepsina (18), consul en 271 ;
  • Genucius (1), tribun de la plèbe en 241[8] ;
  • L. Genucius (6), légat ambassadeur auprès de Syphax en 210 ;
  • M. Genucius (7), tribun militaire en 193 ;
  • L. Genucius, sénateur en 129 ;
  • A. Genucius, duumvir pour la seconde fois à Ostie à la fin de la République[9] ;
  • Genucius Cipus (16), préteur à une date incertaine ;
  • un Genucius (2) gaulois, prêtre au Ier siècle.

À partir du début du IIe siècle, ils disparaissent complètement de la classe dirigeante romaine à l’exception de ce Genucius gaulois qui ne peut raisonnablement être rattaché à la même lignée. Toutefois, on retrouve des Genucii sous l’Empire. Un cas particulier doit encore être évoqué. En effet, pour 379, Diodore de Sicile fournit une liste de tribuns militaires à pouvoirs consulaires comprenant deux noms de plus que celle de Tite-Live[10]. On en a inféré qu’il pourrait s’agir d’un collège de censeurs. Or un de ces noms — C. Erenucius (Ἑρενούκιον) — ne convient pas et il a été proposé de l’émender en Minucius, Numicius voire Genucius[11]. Toutefois, en l’absence de toute branche patricienne des Genucii, une telle modification ne doit pas être retenue et celles en Minucius ou Numicius paraissent plus probables. Les Genucii se distinguent aussi des autres familles plébéiennes par leurs tentatives de fraude des fastes. Ils tentèrent en effet d’interpoler des membres fictifs de leur parentèle dans les fastes patriciens dans le but d’accentuer leur renom[12]. De la sorte, l’existence de cette famille dès le début de la République est parfois contestée. P.-Ch. Ranouil estime que tous les Genucii antérieurs à Cn. Genucius M. f. M. n. Augurinus sont des falsifications et date, suivant une hypothèse d’Ogilvie, du début du IVe siècle l’entrée en scène de cette famille[13]. Il est certain que les Genucii ont effectivement inséré dans les fastes des membres de leur famille afin de se donner une origine patricienne. T. Genucius Augurinus (12), M. Genucius Augurinus (11) et T. Genucius (9) sont ainsi assurément des personnages inventés. En revanche l’interpolation de plébéiens ne répond à aucune logique politique et le tribun militaire de 399 ne nous paraît donc pas devoir être écarté en dépit de son cognomen ajouté a posteriori[14]. De même, de telles falsifications n’invalident pas l’existence des Genucii plébéiens (en particulier les tribuns) qui est à reconsidérer du fait de l’ancienneté de cette famille. Une présence plébéienne si ancienne expliquerait mieux pourquoi les Genucii réussirent à accéder si vite au consulat après les plébiscites licinio-sextiens (98 à 101) et pourquoi ils furent une des rares familles plébéiennes à accéder au pouvoir grâce à l’exercice du tribunat militaire à pouvoirs consulaires[15]. Nous pouvons dès lors proposer les reconstitutions généalogiques suivantes : T. Genucius et Cn. Genucius sont sans aucun doute de proches parents si on accepte leur authenticité. Les Genucii patriciens de l’époque du décemvirat sont à écarter. Ensuite, on constate dès le IVe siècle une séparation en différentes branches qui témoigne de l’ancienneté de la famille : les Genucii Aventinenses, les Genucii Clepsinae et les Genucii sans cognomen. Nous ne disposons malheureusement pas d’assez d’éléments de filiation pour reconstruire des arbres généalogiques mais l’hypothèse d’une filiation entre Cn. Genucius, tribun militaire à pouvoirs consulaires en 399 et 396, L. Genucius tribun de la plèbe en 342 et C. Genucius augure en 300 est raisonnable.

Notes

[1] Sur les Genucii en général, voir BNP, 5, 766 ; E. Pais, Ricerche sulla storia e sul diritto pubblico di Roma, Rome : P. Maglione & C. Strini, 3, 1918, p. 93-95 ; W. Schulze, Zur Geschichte lateinischer Eigennamen, Zürich et Hildesheim : Weidmannsche Buchhandlung, 1904, p. 110 ; J. Suolahti, The Junior Officers of the Roman Army in the Republican Period. A study on Social Structure, Helsinki : Weilin & Göös, 1955, p. 157 et p. 363, Id., The Roman Censors. A Study on Social Structure, Helsinki : Weilin & Göös, 1963, p. 184-185, p. 625 ; H. Rix, Das Etruskische Cognomen. Untersuchungen zu System, Morphologie und Verwendung der Personennamen auf den jüngeren Inschriften Nordetruriens, Wiesbaden : Otto Harrassowitz, 1963, p. 295-296 ; R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy : Books 1-5, Oxford : Clarendon Press, 1984, p. 369 et p. 456-457 ; P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris : Les Belles Lettres, 1975, p. 97-100, p. 196 et p. 250-251.

[2] Sur cette inscription et ses interprétations, cf. M. Cristofani et G. L. Gregori, « Di un complesso sottorraneo scoperto nell’area urbana di Caere », Prospettiva, 49, 1987, p. 2-14 ; M. Cristofani, « C. Genucio Clepsina pretore a Caere », dans A. Emiliozzi Morandi et A. M. Sgubini Moretti (éd)., Archeologia nella Tuscia, 2, Rome : CNR, 1988, p. 24-26 ; Id., « C. Genucio Clepsina pretore a Caere », dans G. Maetzke (éd.), Atti del Secondo Congresso Internazionale Etrusco (Firenze 26 maggio-2 giugno 1985), 1, Rome : G. Bretschneider, 1989, p. 167-170 ; M. Torelli, « C. Genucio(s) Clousino(s) prai(fectos). La fondazione della praefectura Caeritum », dans Chr. Bruun (éd.), The Roman Middle Republic. Politics, Religion and Historiography, c. 400-133 B. C. (Papers from a Conference at the Institutum Romanum Finlandiae, September 11-12, 1998), Rome : Institutum Romanum Finlandiae, 2000, p. 141-176 et F. Colivicchi, « Il mundus di Clepsina e la topografia di Cerveteri. Scavi dell’Università di Perugia nell’ex vigna Marini-Vitalini », dans Science and Technology for Cultural Heritage, 12, 1-2, 2003, p. 11-42.

[3] M. Torelli, « C. Genucio(s) Clousino(s) prai(fectos). La fondazione della praefectura Caeritum », dans Chr. Bruun (éd.), The Roman Middle Republic. Politics, Religion and Historiography, c. 400-133 B. C. (Papers from a Conference at the Institutum Romanum Finlandiae, September 11-12, 1998), Rome : Institutum Romanum Finlandiae, 2000, p. 155-157.

[4] Ibid., p. 156. Pour l’origine cérite, Cf. M. Cristofani et G. L. Gregori, « Di un complesso sottorraneo scoperto nell’area urbana di Caere », Prospettiva, 49, 1987, p. 4.

[5] A. Naso, « Un’epigrafe funeraria latina dalla necropoli etrusca di Pian della Conserva (Tolfa) », Epigraphica, 48, 1986, p. 191-198.

[6] Cf. S. Gatti et M. T. Onorati, « Praeneste medio-reppublicana: gentes ed attività produttive », dans La Necropoli di Praeneste, periodi orientalizzante e medio repubblicano. Atti del 2° convegno di studi archeologici (Palestrina 21/22 Aprile 1990), Palestrina : Comune di Palestrine, 1992, p. 195, p. 197, p. 201 et p. 234 le n° 5. Le vase est de type Morel 321b et est daté par les auteurs de la période suivant la moitié du IIIe siècle.

[7] St. P. Oakley, A Commentary on Livy, Books VI-X, 4, Book X, Oxford : Clarendon Press, 2005, p. 516 et p. 545.

[8] G. Niccolini, FTP, p. 395.

[9] M. Cébeillac-Gervasoni, Les Magistrats des cités italiennes de la seconde guerre punique à Auguste. Le Latium et la Campanie, Rome : EFR, 1998, p. 113 et p. 118-119.

[10] D.S., 15, 51, 1 et Liv., 6, 30, 2.

[11] T. R. S. Broughton, MRR, 1, p. 106-107 qui préfère une modification en Minucius (ou Genucius) et J. Suolahti, The Roman Censors. A Study on Social Structure, Helsinki : Weilin & Göös, 1963, p. 184-185, p. 625 et p. 691.

[12] C’est Fr. Münzer qui le démontra le premier, voir RE, VII 1, 1206-1207 à l’article Genucii et Id., Römische Adelsparteien und Adelsfamilien, Stuttgart : J.-B. Metzler, 1920 (utilisé dans la traduction anglaise de Th. Ridley parue sous le titre Roman aristocratic Parties and Families, Baltimore : JHUP, 1999, p. 17). Cette opinion est notamment suivie par J. Suolahti, The Roman Censors. A Study on Social Structure, Helsinki : Weilin & Göös, 1963, p. 625 ; P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris : Les Belles Lettres, 1975, p. 98 et, plus récemment par M. Humm, Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome : EFR, 2005, p. 87 n. 188.

[13] R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy : Books 1-5, Oxford : Clarendon Press, 1984, p. 456-457 et P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris : Les Belles Lettres, 1975, p. 97-100.

[14] Tout comme le pense déjà P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris : Les Belles Lettres, 1975, p. 98-99.

[15] P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris : Les Belles Lettres, 1975, p. 190-199.